CHAPITRE VIII TOULON (Extraits)

 

Le soir du 26 septembre je me rendis à la gare de Lyon. J¹étais anxieux, bien sûr, mais pas paniqué à l'idée de partir pour l'inconnu.

Je passai une nuit sans sommeil ; comment voulez-vous dormir dans l'inconfort d'un train, avec tout plein d'idées qui vous passent par la tête. L'annonce des gares s'égrena tout au long du voyage : La Roche-Migennes, Dijon, Lyon, Valence, Avignon, Miramas, Marseille. A la Ciotat, dans une échancrure de la côte, j'aperçus la mer. Elle me parut d'un bleu beaucoup plus foncé qu'à Dieppe. La végétation bordant la voie ferrée avait changé. Les jardinets agrémentant les petites gares étaient plantés de cactus et de palmiers et dans les champs, des arbres, inconnus pour moi, aux petites feuilles argentées, brillantes sous le soleil encore bas, j'appris plus tard que c'était des oliviers.

 

En arrivant à Toulon, une foule de jeunes gars descendit du train et se retrouva sur le quai. J'avais fait plus de dix heures de voyage et neuf cents kilomètres, sans voir un seul de ces garçons, et là, soudain, une centaine de gaillards, l'air ahuri, surgissaient brusquement. Instinctivement nous nous rapprochâmes les uns des autres.

Nous fûmes interpellés par un marin gradé, escorté de deux matelots guêtrés de blanc, dont l'un portait une pancarte " École de Saint-Mandrier ". Après s'être assuré que nous étions tous, destinés à cet établissement, l'officier marinier ‹ nous apprîmes par la suite que c'était un second- maître ‹ nous fit mettre en rang par trois, puis, par l'avenue Vauban, nous dirigea vers le port où, quai Cronstadt, nous attendait Le Cavalas, un bateau assurant la liaison à travers la rade, avec la presqu'île de Saint-Mandrier.

 

Le Cavalas s'éloigna du quai, prit de la vitesse, sortit de la Darse Vieille, longeant des épaves de navires coulés lors du sabordage de la Flotte en novembre 1942, la carcasse du vieux cuirassé Provence et à côté, légèrement penchée, la coque à demi immergée du Commandant Teste. Un peu partout, dans l'étendue du port, les navires en service alternaient avec les carcasses de ceux, victimes du sabordage. Au milieu de la rade, seules émergeaient, les superstructures d'un croiseur de sept mille six cents tonnes, La Galissonnière coulé lui aussi, au large des Sablettes.

A la pointe de la presqu'île, face au port, apparut un groupe de grands bâtiments disposés en carré, notre école.

Nous débarquâmes sur un ponton, le second-maître, nous rassembla, nous fit mettre en rang puis il nous donna le signal de marche. Nous nous dirigeâmes vers l'entrée, un grand portail prolongé par une clôture à barreaux en fer.

Nous pénétrâmes par l'aubette dans la Cour d'Honneur, sous les regards de garçons vêtus bizarrement d'un 'bleu de chauffe' couleur gris-fer et coiffés d'une drôle de petite calotte ronde, comme celles que portent les forçats dans les films de Charlot, ils s'étaient agglutinés à la grille, nous lançant des quolibets et des insultes, nous traitant de tous les noms possibles.

L'accueil, il faut bien le dire était tout ce qu'il y a de réfrigérant. Nous baissâmes la tête essayant de nous faire le plus discret possible afin de ne pas attirer sur soi, leur virulence agressive.

Arrivés au centre de la Cour d'Honneur, d'autres officiers-mariniers nous entourèrent. On nous rassembla sur trois rangs, notre valise posée à nos pieds. A l'appel de notre nom, nous nous rangeâmes derrière le gradé que l'on venait de nous désigner. Certains des nouveaux étaient répartis dans des compagnies de mécaniciens, d'autres d'armuriers ou de torpilleurs. Puis, avec mes camarades de la Compagnie de Torpilleurs, tout aussi abasourdis que moi, nous suivîmes le second-maître Mouret, dont on nous dit qu'il serait un de nos instructeurs.

Nous pénétrâmes dans l'un des bâtiments appelé Laubie B, en hommage à un ingénieur mécanicien, officier de marine, qui avait sombré avec le sous-marin Protée en 1943. En gravissant les trois étages nous conduisant à notre chambrée, nous apprîmes que nos futurs camarades n'étaient pas encore tous arrivés.

En principe, s'il n'y avait pas de défection, cette session d'octobre devait compter vingt-deux apprentis, affectés à la 3ème Compagnie de Torpilleurs. Nous dûmes partager notre chambrée avec les ³Anciens³ de la session d'avril, qui eux, comptaient une vingtaine de membres.

Près de deux mille personnes vivaient à Saint-Mandrier. Les apprentis torpilleurs, au nombre d'une quarantaine, étaient les moins nombreux; les apprentis armuriers comptaient, eux, soixante dix élèves environ. Les apprentis mécaniciens formaient le gros de l'effectif, avec à peu près, douze cents gars. Le reste du personnel était composé de permanents, c'est-à-dire d'officiers, d'officiers-mariniers et marins, assurant l'encadrement, l'instruction et la bonne marche de cette énorme machine.

Le reste de la journée fut consacrée à notre installation. Il y eut d'abord, distribution de hamacs et de couvertures. Les anciens durent, de mauvaise grâce, nous apprendre à gréer un hamac, avec fixation des araignées. On nous apprit à le tendre entre le crochet fixé au mur et l'une des barres qui couraient au centre de la carrée, puis à le serrer et le plier après le lever, afin de laisser la chambrée entièrement dégagée. Les tables n'étaient dressées que pour les repas, ensuite après qu'elle eurent été nettoyées et briquées, elles devaient être repliées et gerbées sur des barres fixées au plafond voûté de la carrée. Ensuite on nous attribua à chacun, une place et un caisson de rangement, puis, ce fut la désignation des rôles de plats.

Dans l'attente de notre incorporation définitive, on nous distribua un pantalon à pont et une vareuse, en épaisse toile blanche ou rousse et, pour ceux qui n'avaient pas eu la prudence d'apporter des chaussures noires montantes, une paire de sabots de bois.

Évidemment, dans la cour, notre accoutrement nous désignait, aux yeux des anciens, qui avec un malin plaisir, houspillaient la bleusaille que nous étions. Il va sans dire que nous avions tous hâte de toucher nos habits gris-fer, qui permettraient de nous fondre dans le nombre, sans être remarqués.

Tous les mouvements s'effectuaient au son du clairon. Chaque événement de la journée était rappelé par une sonnerie spécifique, du réveil à l'extinction des feux, en passant par le petit déjeuner, le rassemblement du matin, le déjeuner, le rassemblement de l'après-midi, le dîner à cinq heures suivi simultanément de l'appel aux permissionnaires (pour les permanents seulement), puis au rassemblement du soir. Même la messe du dimanche avait sa sonnerie bien à elle.

Les jours suivant furent occupés aux visites d'incorporation, aux vaccinations (très douloureuses). Un copain, Madec, breton pur beurre, fut à chacune des trois inoculations du TABDT, qui se suivirent à quinze jours d'intervalles, malade comme une bête.

Le vaccin en lui-même, était douloureux, mais les infirmiers en accentuaient les effets. Avec la même aiguille pour tous, qu'avec un plaisir sadique, ils nous enfonçaient brutalement sous l'omoplate, ils nous injectaient le sérum, d'une brusque poussée. Plusieurs de mes camarades ne pouvant supporter la douleur, eurent des malaises. Ils se firent alors, insultés et houspillés sans ménagement par nos tourmenteurs.

Ce jour-là, nous avions le droit de nous coucher dans nos hamacs. Après avoir regagné notre carrée, nous tendions rapidement, nos couchages avant que notre bras droit, ne fût entièrement paralysé, et que la douleur ne fût trop forte. ‹ Pour les deux séances de piqûres qui suivirent la première, nous prîmes la sage précaution de tendre nos hamacs avant d'aller nous faire torturer ‹. Le premier jour, nous étions soumis à une diète complète, sous peine de graves complications, et à un régime allégé, les deux jours suivants.

Ces jours de vaccination, furent sans aucun doute, l'un de mes plus pénibles souvenirs.

 

Lors de ma visite médicale d'incorporation auprès du médecin-major, celui-ci, hésita à me déclarer apte au service. Depuis ma dernière visite, à Lille, j'avais grandi de deux centimètres, mais je ne pesais que quarante six kilos. Je suppliai le docteur de me donner son accord. Je ne voulais surtout pas être renvoyé, pour à coup sûr, subir les moqueries que n'auraient pas manqué de me lancer certains habitants de Marolles, Alexandre Griffault en premier lieu.

Bien que les premiers contacts avec la marine furent difficiles, je considérais qu'à seize ans, j'avais le devoir de m'accrocher, de serrer les dents et de réussir à être un homme. Devant mon désarroi, le médecin m'accorda un temps d'essai, pensant peut-être, que les durs moments qui m'attendaient auraient raison de mon obstination. C'était sans compter avec celle-ci.

 

Trois semaines après notre arrivée, nous fûmes incorporés et nous touchâmes enfin notre paquetage. Tout marin avait droit à deux tenues de travail (ou bleu de chauffe), deux tenues de sortie, une N° 1 pour les sorties et les inspections, une N° 2 pour le service d'hiver ‹ que l'on enfilait sous le bleu de chauffe par grands froids ‹, deux chemisettes (cols bleus), une cravate noire, deux caleçons, deux maillots de coton à manches courtes, un tricot rayé, un jersey , deux paires de chaussettes, un bonnet à pompon, une calotte ronde (pour le travail), une paire de chaussures à semelles cloutées, une pèlerine, un couvert, un quart et un plat en fer étamé, deux brosses à chaussure, cirage, savon et un sac de marin pour transporter le tout.

De plus, nous avions droit à huit paquets de cigarettes, quatre paquets de tabac et un prêt mensuels de cinquante francs , ce qui représentait le prix de deux ou trois séances, dans les cinémas de Toulon.

Nous n¹ étions pas tellement heureux avec nos chaussures à clous et notre pèlerine, deux accessoires spécifiques à notre état d'apprentis-marins mais qui ne rehaussaient pas l'idée que nous nous faisions du véritable loup de mer. Heureusement, pour les sorties, j'avais toujours mes chaussures achetées aux puces, qui bien que montantes étaient quand même plus élégantes que les godillots. Mais avec la pèlerine nous ressemblions trop à des pensionnaires d'orphelinat, et là il n'y avait pas de remède.

Après le rassemblement du matin au cours duquel on faisait l'appel, on nous dirigeait, toujours en rang par trois, vers les salles de cours, où des professeurs civils nous dispensaient une instruction générale du niveau du brevet élémentaire.

Ensuite, nous allions à l'atelier, là, l'on apprenait à travailler les métaux quels qu'ils fussent. Un torpilleur devait pouvoir façonner un outil aussi complexe fut-il, réparer, refaire une pièce défectueuse de n'importe quelle partie d'une torpille.

Notre programme d'atelier commençait à la forge où, partant d'un morceau de ferraille brute, on devait ébaucher la pièce à fabriquer, ensuite, au burin, à la lime, au tour, nous devions présenter un outil ou une pièce vitale d'un engin, qui fonctionne et qui puisse être mise en lieu et place de la pièce d'origine. Nous apprîmes également, la chaudronnerie, où d'une plaque de tôle, nous dûmes à l'aide d'une forme et de marteaux à bosseler, réaliser pour notre première expérience, une cuillère à pot.

 

Nous fûmes bizutés une dizaine de jours après notre arrivée. Pendant leur sommeil, certains des nouveaux eurent leurs araignées de hamac, sectionnées et se retrouvèrent brutalement projetés au sol, d'autres, comme moi, furent, toujours pendant notre sommeil, badigeonnés au cirage, sur tout le corps et la figure, mais principalement à un endroit que la décence m'oblige à taire.

Lorsque nous nous réveillâmes, le matin, nous étions superbement noirs. Le plus difficile fut de nous nettoyer. Nous avions droit à une douche une fois par semaine, et ce n'était pas notre jour. Nous n'avions que l'eau froide des lavabos pour nous décrasser. Il faut essayer, pour voir que c'est une gageure.

Je m'étais lavé la tête, un jour, à l'eau froide et au savon de Marseille, seul autorisé réglementairement. Je suis resté trois jours, les cheveux collés, agglutinés, sans qu'il me fût possible de remédier à mon infortune, jusqu'au jour béni de la douche hebdomadaire. Heureusement que j'étais coiffé de cette affreuse calotte qui me sauva la mise.

 

Aux repas, nous étions répartis par tables de six. Chaque jour, deux hommes de la table étaient de corvée de plat.

Cela commençait le matin; à l'appel du clairon, les deux hommes de corvée du jour se munissaient, l'un d'un bidon, l'autre de son plat (écuelle en fer), puis allaient aux cuisines chercher le café, et à la cambuse prendre une boule de pain et l'accompagnement: confiture, pâté de foie ou barre de chocolat. La plupart du temps le café était froid en arrivant à la chambrée, le chef de table veillait à partager équitablement les parts, sous l'śil vigilant de ses camarades.

A onze heure et demie, et le soir à dix sept heures, c'était le même scénario. L'un avec son plat et le bidon, filait à la cambuse chercher le vin, le pain et le dessert, pendant que l'autre, muni d'un bouthéon à double compartiment, se dirigeait vers les cuisines, recevoir la ration de viande et de légumes le midi, de soupe et de légumes le soir.

La distribution était toujours faite par le chef de table, et gare si un morceau de pain semblait plus petit qu'un autre, à seize ans on est de vrais ³morfals³.

On nous servait souvent de la confiture au dessert; pour que l'homme de corvée de cambuse puisse manger, nous étions obligés de commencer notre repas par le dessert, afin de vider son plat de la confiture qu'il contenait.

Les menus n'étaient guère variés. Les nouilles au gras (de mouton), les lentilles pleines de cailloux et au goût de terre, les haricots à la bretonne et les pommes lyonnaises ‹ ces deux dernières préparations, fort acceptables ‹, nous étaient le plus souvent servis. La viande était infecte, comme cela ne me privait pas, je donnais ma part aux copains. Je me souviens, une fois, nous avions eu des pieds de mouton, vraiment le bout des pattes avec les poils et les sabots. Ce jour-là, personne ne mangea de viandeŠ sauf Yves Legall, qui tendant son plat, se tourna vers Castelletti, le chef de table atterré, et lui dit .

‹ Mets-moi dans mon assietteŠ

Il mangea les six pieds de moutons de la tablée.

Yves Legall, un breton de Kerlouan, était l'un des seuls satisfait du régime alimentaire de l'école. Chez lui, nous avait-il raconté, on ne mangeait qu'une sorte de potée de légumes et de lard, que sa sśur aînée ;sa mère étant décédée ; préparait une fois par semaine, pour toute sa nombreuse famille de paysans.

Ceci dit, Legall qui avait fait ses études chez les Frères, était sans doute le plus intelligent et le plus instruit de nous tous. Il était en outre d'une grande patience et d'une rare bonté, malgré sa force herculéenne qui aurait pu l'inciter à en abuser.

 

Le samedi matin était consacré à la lessive. Nous apprîmes, au moyen du seul savon de Marseille, sans bouillir le linge, sans le brosser ‹ on avait bien une brosse à linge en chiendent, mais il nous était conseillé de n'en user qu'exceptionnellement, afin de ménager notre linge et nos vêtements ‹, à laver et à éliminer les taches de graisse d'atelier, de nos bleus de chauffe, et à obtenir un blanc éclatant pour notre linge de corps. On nous apprit aussi, à faire le nśud de cartahut , qui à l'aide d'un bout, permettait de pendre le linge à sécher, sur le fil du cartahut, capable de résister aux vents les plus violents, et se dénouant d'une simple traction.

 

Le dimanche, lorsque nous n'étions pas de service, et si nous n'étions pas consignés, nous avions droit à une permission de sortie. A l'appel du clairon, les permissionnaires se rassemblaient par compagnies, dans la Cour d'Honneur, sous les ordres du chef-instructeur de service. Puis l'officier de garde nous passait en revue d'inspection.

La moindre trace suspecte sur notre uniforme, une chemisette à la propreté douteuse, les chaussures mal cirées, le bonnet (bachis en argot marin) non posé réglementairement, les mains aux ongles noirs, les cheveux plus longs que les trois centimètres obligatoires, étaient autant de motifs de suppression de sortie.

Lorsqu' enfin, nous avions passé cet examen avec succès, on nous faisait sortir de la caserne, en rangs par trois jusqu¹ à l'embarcadère, où nous attendait le Cavalas ou le Pipady, l'un des deux bateaux assurant la liaison entre la presqu'île et le port de Toulon.

A Toulon, nous avions tout juste le temps d'assister à la première séance de cinéma de l'après-midi puis d'aller boire une bière pour les uns, un pastis pour les autres, avant de reprendre le bateau pour être de retour avant dix huit heures, heure au-delà de laquelle, c'était le cachot assuré.

 

La nuit, la chambrée était toujours éclairée par des veilleuses de couleur bleue. Un factionnaire veillait à la sécurité de chacun, étant relayé toutes les deux heures. C'est ainsi que tous les cinq jours, nous étions de garde pendant deux heures de la nuit. Les veilles les plus pénibles se situaient de minuit à deux heures, et de deux à quatre heures, aux heures où le sommeil est le plus profond, et qu'il est le plus difficile de se réveiller . Des rondes étaient effectuées par des instructeurs de service, et gare si l'on avait le malheur de s'assoupir pendant la garde.

Le plus pénible pourtant, arrivait une fois par mois. C'était le jour du Service Intérieur où la 3ème Compagnie était de corvée générale. Ce jour-là, certains étaient employés aux cuisines ou au mess des officiers-mariniers, d'autres, affectés au nettoyage des latrines, d'autres encore, au Magasin d'habillement ou à la corvée de charbon, mais tous, à tour de rôle nous devions, la nuit, assurer la garde du périmètre de l'école.

Les plus chanceux, allaient faire leur veille à l'aubette. Là, ils étaient quatre, sous la responsabilité d'un chef-instructeur. Ils pouvaient pendant les heures de pause, s'allonger sur des lits de camp et dormir en attendant leur tour. Autre avantage, ils étaient au chaud, buvaient du café et pouvaient grignoter un petit quelque chose.

Je n'eus jamais cette chance, à chaque fois, j'étais affecté à l'extrémité du camp sur la colline, dans le noir le plus absolu, complètement isolé, constamment sur le qui-vive. Les heures de tours de garde s'étalaient de 21 h 00 à 23 h 00, de

23 h 00 à 1 h 00, de 1 h 00 à 3 h 00, de 3 h 00 à 5 h 00 et de 5 h 00 à 7 h 00. Bien évidemment les heures de garde les plus dures allaient de 1 h 00 à 5 h 00.

Vêtu d'une capote de drap, trop longue pour moi, harnaché d'un baudrier et d'une cartouchière en cuir, armé d'un fusil Lebel, baïonnette au canon, le tout pesant une quinzaine de kilos, je me pelotonnais au fond de ma guérite, l'hiver, grelottant de froid les jours de mistral. Je restais malgré tout, l'oreille et l'śil aux aguets, craignant d'être surpris par les gens de ronde, toujours à l'affût d'un mauvais tour . Il ne fallait surtout pas se laisser surprendre, sous peine de passer les jours suivants, au cachot.

La procédure nous imposait, à l'approche de la ronde, de faire les sommations réglementaires.

‹ Halte, qui va-là ?

La réponse devait être .

‹ La ronde !

‹ Avance au ralliement

Le chef de ronde devait alors, avancer jusqu'à deux mètres environ de la sentinelle.

Celle-ci devait dire de nouveau .

‹ Halte ! Le mot de passe ?

Le mot de passe donné, la sentinelle laissait le libre passage à la ronde. ‹ Un jour, alors que la garde était assurée par un gars d'une des compagnies de mécaniciens, le chef rondier, voulant mettre sa vigilance à l'épreuve, lui donna un faux mot de passe. Sans tergiverser, l'homme de garde, prit son fusil et transperça de sa baïonnette, la cuisse du chef de patrouille. Depuis, on nous retira les baïonnettes pour éviter que cela ne se reproduise ‹.

Ce n'est que lorsque la patrouille se fut éloignée, qu¹ enfin, nous pouvions relâcher quelque peu, notre attention.

Une autre inquiétude survenait quand mêmeŠ Le factionnaire de chambrée, réveillerait-il à temps, l'homme de relève ? Tout dépendait de lui. Et s'il s'endormait pendant sa veille ?

Inutile de dire le soulagement, lorsque le copain arrivait enfin pour prendre la suite, après avoir endossé à son tour, la vielle capote râpée, le harnachement, et que lui fut remis le fusil et transmis le mot de passe.

 

Une fois par mois, nous avions revue de paquetage. Ce jour-là, nous devions présenter à l'inspection, tout le contenu de notre équipement. Pour l'occasion, nous étions revêtus de notre uniforme n° 2, la tenue n° 1 et l'ensemble de nos vêtements devaient être pliés au carré, de vingt quatre centimètres de côté, et alignés sur les tables, le numéro matricule bien visible et dans le même alignement. Les godillots cirés, les brosses vierges de toute souillure ‹ nous nous servions d'un autre jeu de brosses à chaussures, gardant celles fournies par l'administration, à l'état neuf pour les inspections ‹; le plat, le quart et le couvert briqués au sable pour leur redonner l'aspect du neuf.

Toute présentation non réglementaire était punie de jours de consigne, et tout le paquetage jeté à terre, avec obligation de le représenter à nouveau. Inutile de dire que nous prenions grand soin pour que la revue soit une réussite. Quand même, ce jour là nous serrions les fesses à ne pas pouvoir y glisser une feuille de papier à cigarette.

 

Vers la mi-octobre, Pujol, un de nos camarades nous quitta. Il s'en alla, doublement attristé, son père venait de mourir, et sa mère avait demandé et obtenu que son fils, désormais soutien de famille, soit libéré de ses engagements. En principe, si l'un de nous décidait de quitter volontairement l'école, il le pouvait, mais à condition de rembourser tous les frais engagés par la Marine. Le cas de Pujol étant un cas de force majeure, il fut exempté de cette disposition. De ce jour, notre 3ème Compagnie de Torpilleurs ne compta plus que vingt et un hommes.

 

Au mois de novembre, nous commençâmes les préparatifs de la grande fête annuelle du cinq décembre, célébrant à la fois Saint-Eloy et Sainte-Barbe, patrons respectifs des armuriers, des torpilleurs et des mécaniciens-chauffeurs.

Nous répétions à la chorale, sous la direction de Maître Suscinno, les chants de marins, tels Johnny Palmer, Valparaiso ou encore Le maître à bord. Maître Suscinno était un ténor qui nous venait du Théâtre Lyrique de Marseille.

 

A Noël, nous eûmes droit à quinze jours de permission. Munis d'une permission, d'une feuille de route et d'un casse-croûte constitué d'un quart de boule de pain et d'une boîte de pâté de sardines, nous prîmes le train de nuit pour Paris, heureux de cet entracte, dans cette nouvelle vie pleine de surprises et parfois éprouvante.

Nous débarquâmes gare de Lyon, pas très farauds avec nos pèlerines sur le dos et pour certains, chaussés de leurs godillots à clous. Cela ne faisait pas marin du tout, surtout que le ruban ornant nos bonnets, portait en toutes lettres " École des apprentis mécaniciens ". Pas de doute, on ne pouvait pas se faire passer pour des vieux loups de mer. Encore que, nous nous étions tous procuré, dans les magasins spécialisés de Toulon, un ruban avec pour seule inscription " E M C Toulon " (École de Mécaniciens Chauffeurs). Auprès des profanes, cela pouvait vouloir dire n'importe quoi. Je m'empressais de substituer ce ruban à celui, réglementaire, avant d'arriver à Marolles.

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Le retour à Saint-Mandrier fut pénible, mais dès le lendemain, repris par le rythme soutenu de nos activités, nous fûmes vite replongés dans le bain.

Durant la deuxième quinzaine de janvier, la grippe s'installa. Sur les deux mille personnels que comptait l'école, les neuf dixièmes furent atteints par la maladie. Les chambrées furent transformées en annexes de l'infirmerie.

On regroupa les torpilleurs grippés chez les armuriers malades, dans leur grand dortoir du rez-de-chaussée, tandis que les hommes encore valides des deux compagnies, dont je faisais partie, se retrouvèrent rassemblés, dans notre chambrée du 3ème étage. Les compagnies de mécaniciens, beaucoup plus nombreuses, se regroupèrent sur le même modèle.

Bien sûr, les cours furent interrompus. Nous n'étions qu'un petit nombre à assumer toutes les activités nécessaires à la bonne marche d'un tel établissement. Non seulement nous devions aider les infirmiers, eux-mêmes touchés par le virus, à soigner les malades, mais nous devions aussi, accomplir toutes les corvées, assurer les gardes intérieures et extérieures chaque jour au lieu de la périodicité mensuelle.

Pour nous les non-malades, ce fut l'une des semaines les plus pénibles, non seulement à cause du surcroît de travail, mais le mistral glacial qui balayait la presqu'île, en ce mois de janvier, nous rendit la tâche encore plus rude.

A la fin, j'eus moi aussi l'envie de me faire chouchouter, je fis pour cela, tout ce qu'il fallait pour contracter cette fameuse grippe, allant jusqu'à boire dans le même quart que les malades. Rien n'y fit, je n'eus même pas le plus petit rhume, pas même ne fus-je pris du moindre éternuement.

Et le médecin militaire qui voulait me renvoyer pour faible constitution !

 

Comme dans tout groupement de jeunes, ardents et actifs, il y avait des conflits. Des bagarres sans conséquences, toujours pour des motifs futiles, se déclenchaient parfois. Il m'arriva comme aux autres de me battre pour des broutilles. Souvent cela se soldait par un match nul et la réconciliation se faisait sans aucune arrière-pensée.

Un jour, je me battis avec Pirottais, un copain de ma promotion. Ce que je ne savais pas, c'est que Pirottais avait fait de la boxe, en amateur bien entendu. Quand même, il avait l'art de l'esquive et savait cogner. Cette fois-là, j'en pris plein la g… sans que je ne puisse pas même l'effleurer une seule fois. Cela se termina, comme d'habitude, par un serrement de main. Mais pendant quelques jours je gardai quand même les traces de mon algarade.

Une autre fois, je m'en pris à un gars d'une compagnie de mécaniciens, qui m'avait insulté. Malheureusement le type mesurait dix centimètres de plus que moi, mais surtout me rendait au moins vingt kilos j'avais grandi, je mesurais maintenant un mètre soixante dix, mais ne pesais que quarante neufs kilos. Cette fois-ci, pas de boxe, seulement la lutte, en moins de deux je fus mis à terre, les deux épaules touchant le sol.

De ce jour, dégoûté, je renonçai aux bagarres, me consacrant au contraire à jouer les médiateurs entre les belligérants, allant jusqu'à m'interposer entre eux lorsqu'ils en venaient aux mains. C'est alors que Legall, qui avait des références religieuses et latines, me surnomma tout d'abord Dominus, qui devint ensuite Dominique, puis il y ajouta Pax Tecum (la paix soit avec toi). Dorénavant on me nommait : Dominique Pax Tecum, surnom que je conserverai jusqu'à fin avril 1950.

 

Avec le printemps, les premiers poils commencèrent à me couvrir le visage, cela débuta par les joues. Oh ! le poil ? plutôt l'espèce de duvet, était rare, mais quand même, je dus me servir du rasoir que maman m'avait envoyé dans le dernier colis de victuailles. Je n'étais pas peu fier. Dans la chambrée, des camarades se rasaient depuis longtemps déjà, certains avaient le poil dru et noir, comme Castelletti. Par contre, un gars comme Héllias, un auvergnat massif, la bouille réjouie de bon vivant, était glabre comme une demoiselle.

 

Pour Pâques nous eûmes droit à une autre permission de quinze jours. Sans regrets nous vîmes aussi partir les Anciens qui avaient terminé leur année d'études, et qui avaient obtenu leur brevet provisoire de torpilleur.

Il n'y avait jamais eu d'atomes crochus entre eux et nous. Cette promotion issue de l'immédiat après-guerre, comportait trop de garçons à la limite de la délinquance.

 

Maintenant, c'était nous les Anciens pour les jeunes qui allaient arriver.

D'un commun accord, nous avions décidé qu'il n'y aurait pas de bizutage, qu'au contraire, chacun de nous parrainerait un des nouveaux, pour lui faciliter l'intégration, parfois difficile, dans cette rude école de la vie.

Les quinze jours de permission passèrent très vite.

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Le voyage de retour fut émaillé par de graves incidents. La SNCF avait mis un train spécial à notre intention, train uniquement composé de voitures de deuxième classe. Le voyage s'annonçait sous les meilleures auspices et promettait d'être des plus confortables. Malheureusement une bande d'énergumènes d'apprentis-mécanos complètement ivres, commirent des dégradations inadmissibles. Éventration des sièges, bris de vitres, porte bagages arrachés, portes de compartiments défoncées.

A l'arrivée à Toulon, plusieurs casseurs furent arrêtés. Notre équipée fit les grands titres des journaux de l'époque.

 

Quelques jours après notre retour de permission, le contingent d'avril arriva. Comme nous l'avions décidé, nous prîmes chacun, un des nouveaux en main, le pilotant pour lui éviter les embûches et les impairs. Pour ma part, mon ³filleul³ se trouva être un Breton répondant au nom de Le Quellec, que je revis en 1957 lors d'une période de 12 jours que j'accomplis sur le Bordelais, et qui avait fait son chemin.

 

Une fois par semaine, nous avions des cours d'instruction militaire. Nous apprîmes le maniement du fusil et à marcher au pas. Nous nous entraînions pendant des heures, dans la Cour d'Honneur. Les meilleurs nous promettait-on iraient défiler à Paris, au quatorze juillet. Personnellement, je n'avais pas du tout envie de défiler à Paris.

Si le maniement du fusil ‹ un mousqueton en l'occurrence ‹ fut pour moi, une discipline très vite assimilée, par contre, marcher au pas cadencé représentait une difficulté insurmontable. Je n'avais pas du tout le rythme, c'est peut-être pourquoi, d'ailleurs, que je n'ai jamais réussi à danser.

 

Encadrés par les seconds-maîtres Rauze ; un ancien du Rubis ; et Mouret, nous prîmes, un jour, le Pipady pour traverser la rade et nous rendre au pas de tir du Fort de Malbousquet, dans l'enceinte de l'Arsenal.

Nous nous entraînâmes au tir de mousqueton sur cibles fixes. Cinq balles chacun. Cet exercice de tir faillit avoir une issue tragique. Rimasson, en position de tireur à genoux, visa la cible et tira. Rien ne se passa, interloqué il se leva, puis se retournant, son mousqueton pointé vers nous, il dit :

‹ Le coup n'est pas parti !

Le chef Mouret eut alors le réflexe de prendre vivement l'arme par le canon et la dirigea en l'air. A ce moment, la détonation retentit. L'amorce avait fait long feu, et avait rempli son office avec cinq secondes de retard. Sans le geste du second-maître, l'un de nous aurait été tué, à tout le moins, blessé.

 

Il était programmé, pendant notre scolarité, une sortie d'une journée en mer. Pour cela, nous embarquâmes sur la frégate La Découverte.

La veille de notre embarquement, Raymond Sicard, un catalan de Prades, au bagout intarissable et fanfaron à l'occasion, sembla préoccupé. A nos questions, il avoua qu'il avait peur d'être malade en mer.

Effectivement, le lendemain, à peine étions nous embarqués, qu'il s'affala dans un recoin du pont, le teint vert, le visage décomposé. Nous-mêmes étions un peu anxieux, aucun d'entre-nous n'avait l'expérience de la mer et chacun ignorait quel serait son comportement sur un bateau.

Jusqu'à notre retour à quai, Sicard resta vautré dans son vomi. La mer, ce jour-là était un peu houleuse, plusieurs camarades furent quelque peu incommodés, mais dans l'ensemble, tout se passa le mieux du monde.

Pour ma part, j'avais parfaitement ³étalé³, ayant même poussé la bravade jusqu'à manger, sur le coup de dix heures, un oignon blanc et un morceau de pain tartiné de saindoux, que m'avait tendus le commis du bord voulant tester ma résistance. Il en fut pour ses frais.

 

Depuis les beaux jours, deux fois par semaines, nous nous levions à cinq heures trente pour faire ce qu¹on appelait alors, de l¹hébertisme ‹ on dirait aujourd¹hui, du footing, la mode étant à l¹anglais ‹. C¹était un parcours de cinq ou six kilomètres, au travers de la presqu¹île, en passant par la petite ville de Saint-Mandrier, puis continuant dans les collines surplombant le bourg.

A notre retour, nous avions juste le temps d¹aller à la douche avant l¹appel du petit-déjeuner. A part, pour quelques copains plus portés sur le sport, cette course matinale était plutôt ressentie par la majorité d¹entre nous, comme une corvée supplémentaire.

Avec les camarades, nous avions pu constater que le parcours était toujours le même. Aussi, nous ne fûmes pas longtemps à trouver la parade. A l¹entrée de Saint-Mandrier, il y avait un bâtiment qui pouvait être un transformateur électrique ou quelque chose d¹approchant.

Castelletti, Rimasson, Sicard, Gonzalès un gars d¹Oran, et moi, nous restions en queue de peloton. Lorsque nous arrivions à hauteur du transformateur, nous nous cachions vite derrière, laissant les autre continuer leur course. A leur retour, nous n¹avions plus qu¹à attendre leur passage auprès de nous, et à réintégrer discrètement l¹arrière de la troupe.

 

Dans la marine, deux fois par an, chaque marin devait satisfaire aux épreuves sportives appelées ³Performances³. Bel euphémisme pour qualifier cette parodie de compétition. Nous, qui ne faisions d¹autres sports que l¹hébertisme, et encore on a vu de quelle façon, nous devions soudain, courir le cent et le huit cents mètres, sauter en longueur et en hauteur, grimper à la corde lisse, soulever quinze fois à bout de bras, la gueuse de vingt kilos , nager le cent mètres.

J¹arrivais à tirer mon épingle du jeu dans les sauts en hauteur, avec et sans élan, au saut en longueur, quoique la planche d¹appel avait une fâcheuse propension à me tendre des pièges. Mais j¹étais nul au cent mètres que je parcourais en dix sept secondes; au huit cents mètres, j¹avais trop tendance à sprinter au départ ce qui m¹obligeait à m¹arrêter au bout de trois cents mètres, au bord de l¹asphyxie, terminant mon parcours à la marche, en plus six minutes. La corde lisse restait lisse et je n¹arrivais pas à décoller du sol mes (désormais) quarante neuf kilos et mon mètre soixante douze ‹ eh oui ! j¹avais encore grandiŠ‹. La gueuse, mieux valait ne pas en parler, je la soulevais péniblement trois fois, et encore, aux risques de la lâcher et de m¹écraser les pieds. Quant à la nage, les copains étaient presqu¹arrivés que je n¹en étais encore qu¹au départ; je n¹étais même pas chronométré.

Au début de l¹été, nous fûmes donc conviés, à réaliser ces fameuses ³Performances³ qui furent désastreuses pour moi.

 

La fin des cours approchait. Avec le peu d¹argent dont je disposais, je me fis faire, comme d¹ailleurs tous les copains, une tenue fantaisie par un tailleur de Toulon, spécialisé dans les uniformes de marin. Ce costume fait de drap de laine de bonne qualité, était beaucoup plus seyant que l¹uniforme informe que l¹on nous obligeait à porter à l¹école.

Le pantalon large du bas, la vareuse bien échancrée, coupés sur mesure m¹allaient comme un gant et me donnaient fière allure. Malheureusement, le port de cet uniforme non réglementaire était rigoureusement interdit. Cependant, nous voyions bien, lorsque nous déambulions dans les rues de Toulon, les marins du service à la mer, porter ce même costume. C¹est donc, qu¹il était toléré sur certains bateaux. J¹avais, en outre, fait l¹acquisition d¹une chemisette (col bleu) fantaisie elle aussi, d¹un bleu plus pâle que la chemisette réglementaire, avec des parements plus larges et plus souples. Un tricot de combat aux rayures bleu ciel venait compléter mon habillementŠ prohibé.

 

Avant de quitter l¹ École de Saint-Mandrier, nous eûmes droit à la piqûre de rappel du TABDT.

Nous étions rassemblés en file indienne, torse nu, devant l¹infirmerie quand la séance commença. J¹ étais premier de la file, l¹infirmier me frictionna l¹omoplate avec un coton imbibé d¹éther puis me fit l¹injection. J¹allais partir vers la chambrée ou nous avions pris soin de tendre les hamacs, lorsqu¹il me dit en me tendant le coton.

‹ Tiens, tu vas m¹aider, tu vas badigeonner tes copains comme ça, cela me fera gagner du tempsŠ

J¹étais blanc comme un linge, dans la file, certains copains avaient des syncopes. L¹odeur d¹éther s¹ajoutant à la douleur qui commençait à me tarauder le dos, je sentis que moi aussi, j¹allais tourner de l¹¦il. Je refilai brusquement mon morceau de coton à un gars qui venait de recevoir son injection, et je courus sans demander mon reste, me plonger dans mon hamac qui m¹attendait dans la chambrée.

Cette fois-ci, Madec fut tellement malade qu¹il dut être transporté à l¹infirmerie où il resta plusieurs jours à délirer.

 

Début août, on nous remit, enfin, nos Brevets provisoires de Torpilleurs. Finalement, je ne m¹en sortais pas si mal, 8ème sur 21. Avec une note de trois et demi en sport, et une note médiocre en dessin ‹ qui avait été mon point fort ‹ j¹avais au moins perdu cinq places. L¹on nous fit signer un engagement de cinq ans, qui prendrait effet à compter du dix septembre 1949. Dans la Cour d¹Honneur, on nous rassembla pour la photo traditionnelle.

Nous échangeâmes nos vêtements et uniformes devenus pour la plupart trop petits ‹ en un an, nous avions tous grandi plus ou moins ‹. La pèlerine fut remplacée par un caban, les croquenots à clous également remplacés par des chaussures plus fines quoique toujours à tiges ‹ c¹était le règlement ‹, on nous délivra de nouveaux bleus de chauffe en tissu de mauvaise qualité, de couleur bleue, beaucoup moins seyants que les bleus de chauffe gris-fer que nous avions auparavant ‹ ces derniers avaient été récupérés à la fin de la guerre, auprès d¹une autre Marine, anglaise ou allemande probablement, et n¹étaient pas réglementaires dans la Marine française ‹. Nous reçûmes en outre, quatre chemisettes coloniales à encolure carrée, deux bleues pour le travail, deux blanches pour les sorties.

Notre engagement nous donnait droit à une prime de cinquante deux mille francs , dont une partie, onze mille cents francs, nous fut versée immédiatement.

 

En ce six août 1949, munis d¹une permission de trente jours, plus quarante huit heures de délai de route, plus deux jours de faveur, du casse-croûte désormais traditionnel, nous prîmes, ou plutôt nous tentâmes de prendre le train à la gare de Toulon.

La SNCF, échaudée par les incidents du mois d¹avril, n¹avait fait aucun effort en notre faveur. Le train venant de Vintimille, déjà bondé en arrivant à Toulon, fut littéralement pris d¹assaut par une meute de matelots excités. Nous nous installâmes comme l¹on put, dans les voitures pleines à craquer, dans les couloirs d¹abord, dans les soufflets, puis pour finir comme ce fut le cas pour moi et quelques autres camarades, assis à l¹extérieur, sur les marchepieds.

Heureusement que nous étions en août, les nuits étaient chaudes, mais il y avait une chose contre laquelle nous avions du mal à nous protéger, c¹était les escarbilles ‹ à cette époque, tous les trains marchaient encore à la vapeur ‹. Nous fîmes le voyage, dans cette position précaire, jusqu¹à Lyon.

A Lyon, beaucoup de voyageurs civils, mais aussi des camarades, tels Baudry et Sagnier descendirent pour d¹autres correspondances. Nous pûmes alors, réintégrer l¹intérieur des voitures et terminer le parcours à l¹abri. Pour ma part, je trouvai refuge dans le soufflet, entre deux wagons, assis sur le sac d¹un marin inconnu.

C¹est dire qu¹à notre arrivée à Paris, nous n¹ étions pas très frais et qu¹avec nos tenues sales et fripées, nous ne relevions pas le prestige de notre uniforme.

Après un passage chez Daniel, au 48, rue Bayen, où je pus faire un brin de toilette et endosser, pour la première fois, mon bel uniforme fantaisie, je me rendis à la gare de l¹Est pour la dernière partie de mon très long voyage.

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Ma permission terminée, je repris le train pour Toulon. Je laissais derrière moi, deux êtres chers, entre lesquels je ne pouvais choisir. Toutoune, c¹était la sécurité, la permanence ; Odette, c¹était l¹instant de folie et je savais bien que ce serait éphémère.

Dans le train, je retrouvai plusieurs copains, les parisiens Fosse et Pirottais, et les bretons, Legall, Madec, Nézet, Rimasson et Perrenou. A Toulon, nous rejoignîmes notre nouvelle affectation, lŚ E A S M (École des Armes Sous-Marines), basée sur le Suffren , superbe croiseur de dix milles tonnes, maintenant désarmé, après une brillante carrière en Extrême-Orient.

A l¹aubette de la porte de l¹Arsenal, l¹officier-marinier de garde, nous indiqua le chemin à suivre pour nous rendre à destination, dans le secteur Castigneau tout proche.

Effectivement, à quelques centaines de mètres, se dressaient les silhouettes imposantes du Suffren et du cuirassé Lorraine accostés côte à côte, de part et d¹autre d¹un ponton près de la darse Castigneau.

Nous retrouvâmes à bord, plusieurs de nos camarades, arrivés avant nous, les derniers n¹allaient pas tarder à nous rejoindre. On nous conduisit dans un grand poste d¹équipage, puis l¹on nous attribua nos rôles de plat, on nous affecta à une bordée ‹ il y avait les tribordais et les bâbordais ‹, on nous distribua les hamacs. Ensuite, on nous conduisit sur le Lorraine, lui aussi désarmé à présent après s¹être couvert de gloire, malgré son âge vénérable, lors du débarquement de Provence, pour y effectuer diverses démarches administratives.

Le Lorraine, désormais, abritait une école, l¹École des canonniers. Il servait en outre, de base administrative, sanitaire et de subsistance, commune aux deux navires-écoles.

Nous étions sur le Suffren pour y compléter notre instruction technologique des torpilles françaises, anglaises et allemandes, toutes trois en service dans la Marine des années d¹après-guerre, mais aussi, les grenades anti-sous-marines et les mines. Venait s¹ajouter à cette instruction, une toute nouvelle spécialité, la détection sous-marine, l¹ASDIC de technologie anglaise, et le SONAR américain, que notre promotion était la première à cumuler avec notre spécialité de Torpilleur. Nos anciens, par exemple, furent eux, les derniers Torpilleurs à spécialité unique. Comme le fut de son côté, le contingent que nous retrouvâmes à bord du Suffren qui terminait son instruction d¹unique spécialité d¹Écouteur.

Le monde étant petit, je rencontrai, parmi ces derniers, un vieux copain d¹école maternelle, Titi (Robert) Pottier, de Crézancy. Ses cours, à bord du Suffren se terminant, nous ne restâmes pas longtemps ensemble, mais j¹allais le retrouver plus tard, à bord de la Croix de Lorraine.

La vie à bord sans ressembler à celle d¹un navire naviguant, était quand même différente de celle menée à Saint-Mandrier, d¹abord, nous étions matelots et non plus apprentis-marins.

Le matin, après le lever à six heures et une toilette rapide, c¹était le petit déjeuner. Ensuite, appel sur le pont, puis chacun se rendait à son poste de lavage ‹ une heure consacrée à l¹entretien du bateau, au nettoyage des postes d¹équipage, d¹officiers-mariniers et les chambres des officiers ‹. Avec Castelletti, le marseillais, j¹avais pour tâche d¹entretenir le sous-marin Rubis couvert de gloire, lors de l¹unique victoire française de 1940, à Narvik. Le Rubis comme beaucoup de bateaux, était lui aussi, désarmé. Il était voué aux ferrailleurs, mais en souvenir des services rendus, l¹État l¹avait confié à son commandant, pour la durée de sa vie.

Nous n¹avions pratiquement rien à faire, à bord du Rubis, tout était ³nickel³, pas un brin de poussière, pas une tache; les cuivres, et dieu sait s¹il y en a beaucoup sur un bateau, brillaient de tout leur éclat. Le sol, recouvert de lino ‹ comme celui dont nous nous servions pour la linogravure ‹, était d¹une propreté à manger par terre.

Avec Castelletti, nous mettions, cependant, un point d¹honneur à ce qu¹il soit toujours plus brillant. Nous le frottions d¹abord, avec de l¹étoupe imbibée de mazout, puis à l¹aide d¹un mouton, énorme brosse de trente kilos, nous le briquions avec énergie, en tirant alternativement vers soi le lourd engin, par des bouts (ficelles) fixés aux poignées, jusqu¹à le faire reluire, à se voir dedans.

En semaine, après l¹appel de huit heures, nous nous dirigions vers nos cours. Notre temps se partageait en grande partie, en cours de technologie des différentes armes, en théorie et des exercices sur simulateur ASDIC d¹écoutes sous-marines, en cours d¹instruction générale et en cours d¹atelier ‹ nous avions une queue d¹aronde à réaliser ‹.

Il ne faut pas oublier notre spécialité première, les torpilles. Nous devions démonter, nettoyer, réparer, puis remonter, ces monstres de cinquante cinq centimètres de diamètre, longs de six mètres soixante, pesant à vide onze cents kilos, puis ensuite, il fallait les essayer au banc et procéder à leur réglage. Compte tenu du poids, toutes les man¦uvres se faisaient à l¹aide d¹un palan différentiel.

Le samedi matin, après le poste de lavage, on nous distribuait les postes d¹entretien. Cela pouvait aller du lessivage des superstructures, aux retouches de peintures en passant par le piquage de la rouille et au badigeonnage au minium. Un jour, l¹on me donna à décaper le carrelage des ³feuillées³ . Une épaisse couche de tartre recouvrait les carreaux blancs à l¹origine, mais devenus ocre-jaune au fil des ans.

On me fournit un bidon d¹acide chlorhydrique, une raclette, puis chaussé de bottes en caoutchouc, je me mis à l¹ouvrage. Je répandis d¹abord l¹acide, secteur par secteur, puis à l¹aide de la raclette, je grattai le carrelage pour faire sauter le calcaire accumulé à l¹usage. Il ne fallut pas longtemps pour que l¹atmosphère devînt irrespirable.

Les vapeurs d¹acide me brûlaient les yeux et j¹avais l¹impression que mes poumons se liquéfiaient. Je ressortais de plus en plus souvent à l¹air libre afin de reprendre mon souffle. Cela dura plus de deux heures; pour finir, je branchai une manche à incendie et rinçai le tout à grand jet. Le résultat fut à la hauteur de ce que j¹avais pu endurer, le carrelage avait retrouvé sa blancheur originelle.

Je l¹avais, quand même, échappé belle; malgré mes craintes, cette sale corvée ne me laissa aucune séquelle.

Le samedi après-midi était le jour de lessive. Nous lavions notre linge, toujours selon la technique apprise à Saint-Mandrier, dans de grandes bailles installées sur la plage avant, que nous faisions ensuite, sécher sur le cartahut, solidement tenu grâce au fameux n¦ud dit de cartahut.

Les nuits, comme à Saint-Mandrier, un factionnaire devait toujours veiller sur ses camarades. A tour de rôle, nous devions donc monter la garde. Nous étions maintenant, suffisamment aguerris pour supporter une périodicité plus fréquente, notre effectif amputé des anciens, étant deux fois moindre qu¹à Saint-Mandrier.

Il faut dire qu¹en ajoutant la vingtaine de permanents et instructeurs à notre compagnie, nous n¹ étions qu¹une quarantaine de personnes à se partager un espace prévu pour six cents hommes.

 

Vers la fin de l¹automne, nous embarquâmes à nouveau sur la frégate La Découverte. Cette fois-ci, nous allions faire des exercices d¹écoutes sous-marines grandeur nature. Un sous-marin, la Junon, allait servir d¹objectif.

Sicard, décidément fâché avec la mer, était déjà au bord de la syncope, en mettant le pied sur la coupée. Ce fut bien pire lorsque nous doublâmes la presqu'île de Saint-Mandrier, il s¹écroula sur le pont à l¹abri d¹un caisson et y resta prostré le reste de la journée.

Pendant ce temps, après que l¹on nous eut distribué nos hamacs et attribué notre rôle de plat, nous procédâmes à nos premiers exercices de détection ASDIC. La mer était relativement agitée, plusieurs copains se défilèrent, incapables d¹assurer leur tour de veille. Ils allèrent nourrir les poissons sous les regards moqueurs de l¹équipage.

L¹exercice dura toute la journée, puis le soir, le sous-marin refit surface et regagna Toulon. La Découverte continua son chemin et alla mouiller au large de Porquerolles.

Le lendemain, la Junon était de retour, nous passâmes la journée en exercices, puis le soir venu, nous mouillâmes vers Saint-Raphaël, non loin de la côte.Le lendemain, nous mîmes le cap sur Nice où nous arrivâmes en fin de matinée.

L¹après- midi, nous eûmes droit à une permission de sortie. Pour l¹occasion, nous revêtîmes nos tenues fantaisies, chose que nous ne nous serions pas permise sur le Suffren .

A Nice, en cette période de l¹année, il y avait une grande fête foraine. Avec Gonzalès et Perrenou, nous ³draguâmes ³ les jolies filles, nombreuses et peu farouches. Finalement nous ³enlevâmes³ trois copines, ce qui était le nombre idéal, nous-mêmes étant trois . Tout se passa très bien, jusqu¹au moment où Gonzalès nous invita tous à monter dans le Grand-huit.

Je n¹étais jamais monté dans un tel engin. Nous nous installâmes chacun avec sa chacune et attendîmes le départ. Dans la montée c¹était parfait, le chariot allait lentement, mais lorsqu¹il entama la descente et qu¹il prit de la vitesse, ce fut l¹enfer. Je fermai les yeux, serrai les dents, j¹avais les doigts de pied à la place des oreilles, les intestins jouaient au yo-yo, mon estomac retourné, l¹intérieur à l¹extérieur et vice-versa. Je serrai les fesses à en brûler le tissu de mon pantalon. Le pire, c¹est que quand je croyais que c¹était fini, hop ! ça recommençait, ça n¹en finissait pas, et pendant ce temps, j¹entendais mes compagnons crier et rire aux éclats à chaque nouvelle plongée dans le vide.

Lorsqu¹enfin le chariot s¹immobilisa, je mis plusieurs secondes à le réaliser, m¹attendant à repartir pour une nouvelle descente aux enfers. Je sautai à terre, m¹excusant auprès de mes amis qui voulurent repartir pour un tour. Je m¹éloignai vivement, confus de la piètre image que j¹avais laissée auprès de ma conquête de passage. " Je jurai mais un peu tard, que l¹on ne m¹y reprendrait plus."

Pour Noël, seuls, les jeunes qui habitaient dans la région, eurent droit à une permission exceptionnelle de quatre jours. C¹était le cas de Castelletti de Marseille, Moralès de Nice, Baudry de Lyon,

Je me souviens que pour le réveillon, nous avions eu des huîtres, offertes par un de nos instructeurs. Pour nous consoler de ne pas avoir obtenu de permission, Gonzalès, Hellias et moi, nous allâmes nous ²perdre³ dans le quartier chaud de la ville.

Nous nous arrêtâmes devant une maison dite close, d¹aspect bourgeois, nous frappâmes à la porte, prêts à détaler comme des voleurs, quand un judas s¹ouvrit, une matrone nous dévisagea, nous demanda notre âge, nous avions tous les trois plus de dix huit ans, bien sûr. Heureusement, elle ne vérifia pas, sans doute avait-elle l¹habitude de recevoir de jeunes dindons se vieillissant outrageusement.

Enfin, la maquerelle nous fit entrer dans un grand salon désert. Elle appela ses fillesŠ

‹ Mesdames ! au choix ! Š

Tous les trois, nous étions fort intimidés ; lorsque la première des filles, une forte femme d¹une quarantaine d¹années entra dans la pièce, elle demanda lequel d¹entre nous voulait monter avec elle. Nous nous poussâmes les uns les autres, chacun cherchant à s¹ abriter derrière ses camarades. Ce fut moi qu¹elle embarqua, presque de force au grand soulagement des copains. Soulagement qui ne dura qu¹un moment, car d¹autres filles entrèrent et ils durent s¹exécuter à leur tour.

Nous sortîmes de ce lieu, amers et déçus, ce qui ne nous empêcha pas de nous glorifier auprès de nos copains restés à bord, à qui nous dûmes raconter, avec force détails notre exploit, sous leurs regards admiratifs et envieux.

 

Au mois de janvier, la moitié de l¹effectif de la compagnie embarqua pour quatre jours, sur un patrouilleur côtier, la Dague, de construction américaine, l¹autre moitié de l¹effectif devait nous remplacer, au terme de notre séjour.

Ces patrouilleurs sont des unités de trois cent vingt cinq tonnes, longues de cinquante-deux mètres, larges de sept mètres. C¹est dire que ce sont des petits navires très secoués par mauvais temps.

Les Américains en ont construit plus de trois cents pendant la dernière guerre. Ce sont des bateaux très rustiques avec cependant, un confort à l¹américaine supérieur à ce qu¹on pouvait trouver sur un navire français, anglais ou allemand.

Une fois à bord de la Dague, nous fûmes immédiatement réquisitionnés pour des corvées. Celle que je dus accomplir, en compagnie de Fosse, était particulièrement pénible: nettoyer la sentine ‹ espèce de double fond rempli d¹eau mélangée de mazout , où l¹on ne peut se tenir qu¹accroupi ‹, juste sous la salle des machines. Le soir, nous avions tout vidé et nettoyé, mais nous étions fourbus.

Puis, le lendemain, ce fut la sortie en mer. La Méditerranée avait justement choisi ce jour-là, pour déclencher une tempête à ne pas pouvoir tenir debout. L¹exercice de détection au Sonar était impossible, nous ne pouvions que rester couchés dans nos banettes. C¹était notre première tempête, et celle-ci était particulièrement impressionnante. Le bateau tanguait, roulait, se soulevait presqu¹à la verticale, puis, retombait tremblant de toute sa carcasse, en faisant un bruit d¹énorme gifle. Tous les copains et les trois quarts de l¹équipage furent malades, moi, cette fois-ci encore j¹avais bien étalé, je savais maintenant, que j¹avais vraiment le pied marin.

Le soir, nous rentrâmes à Toulon. Le lendemain, la mer s¹était un peu calmée, nous pûmes enfin procéder aux exercices prévus à notre programme de formation.

Vers le mois de mars, nous fîmes une nouvelle série d¹exercices d¹écoutes sous-marines, à bord de La Découverte. Un sous-marin nous accompagna, qui servait d¹objectif. Nos man¦uvres nous menèrent vers la Corse. Un soir, nous fîmes escale à Calvi.

Nous visitâmes ce joli petit port, mais à part quelques cafés, il n¹y avait pas grande animation pour des permissionnaires en goguette. Un peu avant minuit, heure à laquelle nous devions tous être rentrés à bord, nous fûmes pris de fringale Moralès, Fosse, Pirottais et moi. Tout était fermé, la ville paraissait endormie. Soudain, passant devant une boulangerie, nous vîmes un soupirail éclairé, nous penchant pour regarder à l¹intérieur, nous aperçûmes le boulanger travaillant à son pétrin.

Au risque de réveiller tout le quartier, nous fîmes tant de bruit, que le boulanger sortit de son fournil. Il n¹avait pas de pain à nous vendre, cependant il lui restait quelques invendus rassis qu¹il réservait aux langoustiers. Il nous proposa gentiment de repasser au four, un de ces gros pains durs, ce qui fut fait promptement. Nous nous confondîmes en remerciement puis, munis de notre pain brûlant nous reprîmes rapidement le chemin du port, l¹heure fatidique de fin de permission allait sonner.

Le lendemain, un dimanche, nous fîmes escale à Ajaccio. Nous n¹eûmes pas beaucoup de temps pour visiter la ville, je me souviens avoir été au cinéma avec Nézet et Rimasson et m¹y être endormi.

Nos cours se terminaient le trente avril, mais c¹est seulement le premier mai que nous devions partir pour une courte permission, avant de regagner notre affectation au service à la mer.

Dès les derniers jours de notre formation, on nous proposa un choix d¹affectations au service à la mer. Nous avions reçu notre Brevet de Torpilleur-Écouteur, nous avions cousu notre galon rouge sur chacune des manches de nos vareuses et de notre caban.

La liste des postes disponibles fut inscrite sur un tableau noir, et l¹on procéda au choix par ordre de classement. Je n¹étais pas bien classé, dix-huitième sur vingt et un. Si, avec ma queue d¹aronde presque parfaite, j¹avais obtenu la première place ex-aequo avec Madec avec une note de dix huit sur vingt, en travaux d¹atelier, j¹avais été coulé par le sport où j¹avais récolté un un royal, et une note très moyenne en écoutes sous-marines.

Les copains mieux placés faisaient leur choix et je voyais avec effroi, toutes les bonnes affectations, ou supposées telles, rayées au tableau, au fur et à mesure des options choisies.

Certains embarqueraient qui, sur le croiseur Montcalm, qui, sur L¹Albatros un contre-torpilleur, d¹autres tels Sicard, Nézet, Chassagnier, Madec et Rimasson, choisirent l¹Atelier de Torpilles de la base sous-marine de Brest. Pour Sicard, c¹était le meilleur choix qu¹il pouvait faire.

Il ne restait plus grand-chose lorsque vint mon tour. La Découverte figurait sur la liste et curieusement, personne n¹en voulut. Probablement parce que cela rappelait trop notre période d¹apprentissage. Les dernières destinations n¹étant pas engageantes, j¹optai pour La Découverte. Par la suite il s¹avéra que de tous, c¹était moi qui avais fait la meilleure opération.

 

Le mariage de Robert et de Jacqueline Benoît, était prévu pour le vingt-neuf avril. Quelques temps auparavant, maman avait fait les démarches auprès de mes supérieurs, pour que ma permission fût avancée, afin de me permettre d¹assister à cette cérémonie.

Muni d¹une permission de dix jours plus deux jours exceptionnels et de deux jours de délai de route, je fis mes adieux à mes instructeurs et surtout à mes vieux camarades dont pour certains, à tout jamais. Puis, avec trois jours d¹avance sur mes compagnons, je pris le train du soir.

 

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Ma permission se terminait, il me fallait être rendu à Toulon le douze avant neuf heures du matin.

A la porte de l¹Arsenal, je m¹enquis à l¹aubette, de l¹endroit où était amarrée La Découverte. L¹officier-marinier sembla réfléchir une seconde, puis il m¹informa que La Découverte avait appareillé la veille, pour Bizerte où elle devait entrer en carénage.

Je fus catastrophé, ma permission se terminait le douze et mon bateau était parti sans m¹attendre. Il me dit, alors de me rendre au Dépôt des Équipages, pour faire enregistrer mon retour, et que là, on m¹informerait de quelle manière rejoindre mon unité. Au Dépôt, on me donna un poste de couchage ainsi qu¹un rôle de plat, puis on me fit comprendre que ma tenue n¹était pas réglementaire. Je passai ainsi le reste de la journée, ruminant de sombres pensées.

A l¹appel du matin, le lendemain, l¹officier de garde me demanda ce que je faisais au Dépôt, lui ayant répondu que j¹étais destiné à La Découverte mais que celle-ci était partie pour Bizerte, il rétorqua que c¹était impossible, vu que l¹appareillage était prévu ce matin même. Il ajouta Š

‹ Vous n¹avez pas de temps à perdre si vous voulez être à bord à temps.

Je courus chercher mon sac, et filai dare-dare à la darse Missiessy où se trouvait amarré mon bateau. J¹arrivai une demi-heure avant l¹appareillage. Après avoir raconté ma mésaventure à l¹officier en second, le lieutenant de vaisseau Valentin, celui-ci sourit, et me dit que l¹important fut que je sois présent pour le départ, après quoi, il me renvoya gentiment faire toutes les démarches auprès des services administratifs du bord.

Dans la journée, on m¹affecta à l¹une des deux bordées, puis à un tiers, c¹est ainsi que je fis partie des tribordais et du premier tiers, puis on m¹inscrivit à un rôle de plat, on m¹attribua un poste de man¦uvre, on me donna un hamac, on m¹affecta dans l¹un des postes d¹équipage .

L¹équipage est toujours réparti à égalité entre bâbordais et tribordais pour les cas assez rares, de quart ou de service par bordée. Les tiers, comme leurs noms l¹indiquent, partagent l¹équipage en trois. Lorsque nous sommes à quai, quand un tiers est de service, le tiers qui était de service la veille, devient le tiers de corvée, c¹est-à-dire qu¹ il peut descendre à terre, mais en cas de nécessité il peut être requis pour renforcer le tiers de service, ensuite, il y a le dernier tiers, qui lui, est libre de sortie et ceci, à tour de rôle.

Les quarts, à la mer, se font de huit à douze heures, de douze à quatorze, de quatorze à dix huit, de dix huit à vingt, de vingt à vingt quatre, de zéro à quatre puis de quatre à huit heures, et ainsi de suite.

Les trois tiers, assurent les quarts à tour de rôle. Par exemple, le premier tiers montera le quart de huit à douze, le deuxième tiers suivra de douze à quatorze, puis le troisième tiers de quatorze à dix huit, pour être remplacé par le premier tiers de dix huit à vingt, et ainsi de suite. Tous les trois jours, le cycle est ainsi bouclé.

Une journée à bord commence le matin au réveil, à six heures trente à quai, à sept heures à la mer. Une heure est consacrée à la toilette et au petit déjeuner, puis, c¹est le premier appel suivi d¹une heure de poste de lavage ‹ astiquage des cuivres, nettoyages des postes d¹équipage et des officiers et officiers-mariniers, lavage du pont etc ‹, ensuite, de nouveau, appel au poste d¹entretien, pour moi par exemple, cela consistait à entretenir en parfait état de marche et de propreté, mes grenadeurs arrière, mes mortiers lance-grenades, puis mes hedge-hogs (hérissons) un système de lance-fusées anti-sous-marines, situé sur la plage avant. A onze heures trente, déjeuner, sauf pour ceux qui sont de quart à la passerelle ou aux machines. A treize heures trente, de nouveau appel au poste d¹entretien jusqu¹à seize heures trente. Le dîner est servi à dix-sept heures ‹ en mer comme à quai, ceci afin de permettre aux permissionnaires de dix sept heures trente, d¹être restaurés avant de sortir ‹. le soir est libre jusqu¹à l¹extinction des feux, à vingt deux heures, sauf pour les hommes de quart.

Je fus exempté de la première man¦uvre, n¹étant à bord que depuis trente minutes, lorsque nous appareillâmes. J¹avais eu chaud, à cause d¹une information erronée, j¹avais failli rater mon entrée dans ma nouvelle vie d¹homme.

Nous mîmes le cap sur Alger que nous abordâmes le lendemain. Mon adaptation à la vie du bord, se fit sans problème. Il est vrai que je connaissais le bateau et la plupart des membres d¹équipage, ce qui facilita mon intégration .

Nous restâmes vingt-quatre heures à Alger, le temps de faire une virée à terre et visiter un peu les abords du port. Le soir, un copain qui faisait son service militaire, m¹entraîna dans la Casbah. Il y était déjà venu et il connaissait un établissement, le Sphinx, qui, me dit-il, était splendide. Le Sphinx, occupait un immeuble de construction assez récente; avec ses cinq étages surplombant un vaste hall, coiffé au sommet par une verrière, il était effectivement superbe.

Dans le grand hall, au fond, derrière le bar immense, trônait un sphinx énorme, en plâtre, d¹autres plus petits ornaient les murs, tout autour. Mais ce qu¹il y avait de plus beau, c¹était la trentaine de filles, toutes européennes, toutes d¹une beauté à donner des complexes aux stars de cinéma hollywoodiennes. Elles étaient jeunes, la plus âgée pouvait avoir vingt-cinq ans, vêtues avec recherche de robes de cocktail ou de robes du soir.

Intimidé, j¹hésitai à entrer, puis je dis à mon copain que nous n¹avions certainement pas les moyens de nous offrir un tel luxe. En fait, la limonade que nous consommâmes au bar, coûta presqu¹aussi cher, c¹est-à-dire un prix dérisoire, que la demi-heure passée avec la superbe fille qui m¹entraîna dans sa chambre, en utilisant un luxueux ascenseur.

Puis nous reprîmes la mer, longeant à bonne distance, les côtes d¹Algérie. Mon poste de veille était situé côté tribord, sur la passerelle aux côtés de l¹officier de quart. A l¹aide de jumelles je scrutais la mer, signalant tous mouvements de bateaux, alertant l¹officier de quart lorsque je repérais des épaves, nombreuses près des côtes et indétectables aux radars.

Le littoral se trouvant de mon côté, j¹en profitai aussi, pour découvrir cette terre d¹Algérie, dont je voyais les moindres détails avec mes puissantes jumelles de marine.

Après de courtes escales à Bougie (Bejaia) et à Bône (Annaba), le dix-huit mai, nous doublâmes par tribord le port de Bizerte, puis nous continuâmes notre route dans le goulet, jusqu¹à Ferryville ‹ aujourd¹hui Menzel-Bourguiba ‹.

 

Le bassin de radoub qui devait nous accueillir, était encore occupé par une autre frégate la Croix de Lorraine, sister-ship de La Découverte, de La Surprise, de L¹Aventure et quelques autres encore, toutes de construction anglaise et cédées à la France, dans le cadre de la coopération, au temps des Forces Navales Françaises Libres.

Dès notre arrivée à Ferryville, avec une bonne moitié de l¹équipage, je fus débarqué de La Découverte pour embarquer sur la Croix de Lorraine qui venait de finir son carénage. Les dispositions à bord, étant les mêmes, notre adaptation fut immédiate.

A bord de ma nouvelle affectation, je retrouvai avec plaisir, mon vieux copain de Crézancy, Titi Pottier. J¹eus également la surprise d¹avoir dorénavant pour chef direct, l¹officier des équipages de 2ème classe Grimaud, que j¹avais bien connu à Saint-Mandrier.

Nous avions également pour ³Pacha² un Capitaine de Frégate exceptionnel. Tous les samedis, il faisait cesser le travail à 11 heures, puis offrait l¹apéritif servi au Poste 1 , à tout l¹équipage , officiers, officiers mariniers , quartiers-maîtres et matelots réunis. Pour¹ l¹équipage, il avait banni les plats et quarts en fer étamé et les avait remplacés par des assiettes en faïence et des verres.

Les jours qui suivirent furent consacrés aux essais de machines. Puis nous appareillâmes pour de bon, laissant derrière nous La Découverte qui prit place, dans la forme de radoub pour y subir à son tour, trois longs mois de carénage.

Au large de la Tunisie, nous mîmes le cap à l¹ouest. Notre plan de navigation prévoyait plusieurs escales en Algérie. Notre première halte fut Philippeville (aujourd¹hui Skikda), où nous restâmes trois jours.

Pendant notre séjour, une partie de l¹équipage, dont j¹étais, fut invitée à visiter Constantine à une centaine de kilomètres. Deux GMC conduits par des parachutistes nous servirent de transport. Notre journée fut enthousiasmante, Constantine est vraiment une belle ville, située dans un cadre grandiose.

Au départ de Philippeville, nous fîmes route sur Alger. A Alger, notre escale dura également trois jours, mais là, je ne mis pied à terre que dans l¹enceinte du port. D¹abord, parce que je n¹avais plus d¹argent, mais aussi, parce que je dus assurer une journée de service à bord.

Après Alger, nous mîmes résolument le cap sur Toulon. Le temps était magnifique et la mer pas trop houleuse. De toute façon, je savais maintenant que je n¹étais pas sensible au mal de mer, même si les montagnes russes avaient eu un effet désastreux sur moi.

Au large des Baléares, que nous doublâmes par bâbord, nous traversâmes un vaste banc de méduses de toutes tailles, les plus grosses de la mesure d¹un parapluie ouvert. La Croix de Lorraine fraya sa route dans cette masse gluante qui se referma derrière elle.

Ensuite se furent les marsouins, qui par bandes, entamèrent une sarabande autour du bateau, venant se frotter contre la coque, sautant, s¹amusant à se croiser devant l¹étrave, semblant faire la course avec nous. C¹était un spectacle étonnant qui se renouvela chaque fois que nous eûmes l¹occasion de naviguer dans des eaux tempérées.

Dans le courant du mois de juin, nous embarquâmes à bord, une quinzaine de techniciens et de cameramen de cinéma, sous la houlette de Georges Peclet le réalisateur. L¹équipe venait tourner une scène pour le film "Casabianca " retraçant l¹odyssée du glorieux sous-marin qui s¹évada de Toulon en 1942 pour rejoindre les Forces Navales Françaises Libres.

Nous appareillâmes de conserve avec le Glorieux, un sous-marin de la classe du Casabianca, qui devait jouer le rôle titre.

Arrivés au large, dans la zone réservée aux essais de tir, on me demanda en tant que spécialiste, de préparer les six grenades de deux cents kilos, devant être larguées pour les besoins du film. J¹ai oublié de dire que nous étions censés être un bateau allemand.

La caméra et les projecteurs furent installés entre les deux rangées de grenadeurs. Un pavillon à croix gammée fut hissé au mat, juste sous le pavillon français, celui-ci restant hors champ de la caméra. Comme nous n¹avions pas d¹uniforme allemand, on me demanda de rester tête nue et de mettre mon jersey ‹ cette sorte de pull marin étant à peu de choses près, identique dans toutes les marines ‹.

Le metteur en scène voulait des explosions avec de grosses gerbes d¹eau. Je fis donc le réglage des mises à feu, à moins soixante-quinze pieds ‹ environ vingt cinq mètres ‹, ce qui était la profondeur minimale de sécurité.

Après quelques essais d¹éclairage et de caméra, le commandant fit mettre en avant toute. Je me tins prêt, attendant le top du metteur en scène, la caméra étant à moins de trois mètres de moi. Au signal, je larguai les grenades une à une.

Les explosions se succédèrent, faisant trembler le bateau, la surface de l¹eau devint lisse, puis soudain, d¹énormes geysers jaillirent, à la satisfaction de toute l¹équipe de cinéastes. Mon chef, l¹officier des équipages Grimaud me félicita, quant à moi, j¹étais fier d¹avoir tourné dans un film, et heureux, pour ma première prestation, d¹avoir parfaitement réussi le réglage de mes grenades.

Puis, les cinéastes embarquèrent sur une vedette et se dirigèrent vers le Glorieux qui, machines stoppées, attendait à une encablure pour prendre l¹équipe à son bord.

Le film sortit l¹année suivante. C¹est à Saïgon, que j¹eus l¹occasion de le voir pour la première fois. J¹avais été coupé dans le montage du film, seule ma main apparaissait. Peut-être ne devais-je pas paraître assez crédible, avec ma bouille d¹adolescent, et pas assez Allemand.

Dans la version que la télévision diffusa quelques années plus tard, même ma main avait disparu. Mais Dieu ! que les explosions étaient joliesŠ

 

Durant tout l¹été, nous fîmes chaque semaine de courtes sorties en mer. Les exercices de détection sous-marines se succédaient avec l¹aide d¹un sous-marin, toujours différent. Le soir, nous mouillions à une ou deux encablures des côtes. Nous connaissions les côtes des îles de Porquerolles et du Levant dans leurs moindres détails. Surtout celles de l¹île du Levant, où le soir, à l¹aide des jumelles de marine, nous nous amusions à traquer les nudistes qui s¹ébattaient en toute quiétude sur la plage.

Nous écumions aussi, les petites criques et les plages de Cavalaire, du Lavandou, de Fréjus, de Saint-Raphaël, de Saint-Tropez, toutes stations maintenant au bord de l¹asphyxie l¹été venu, mais qui à l¹époque, étaient peu ou pas fréquentées. En juillet-août 1950, j¹ai connu Saint-Tropez qui n¹était alors qu¹un petit port de pêche, complètement désert le soir, à vingt et une heure.

Nous naviguions également au large de la Corse. Nous visitâmes Saint- Florent, le golf de Porto, Ajaccio où je réglai la circulation automobile, aux abords du port, pendant que nous faisions le plein d¹eau potable, alors que les tuyaux traversaient la route. Puis nous descendîmes jusqu¹à Bonifaccio.

Début juillet, le neuf je crois, alors que nous faisions escale à Menton, nous eûmes la chance d¹assister à l¹arrivée de l¹étape du Tour de France. J¹avais mon favori, Louison Bobet, mais c¹est Impanis, un Belge, qui remporta l¹étape, devançant le peloton d¹au moins cinq minutes. Le maillot jaune était alors endossé par Ferdy Kubler, le champion suisse.

Depuis quelques temps, je m¹étais porté volontaire pour aller combattre en Indochine. Maintenant, avec la guerre de Corée qui venait de commencer, je complétai mon engagement, pour l¹une ou l¹autre des deux campagnes.

Pour l¹instant, il me fut répondu, que n¹ayant pas atteint l¹âge de dix-huit ans, il me fallait l¹autorisation écrite de mes parents.

 

Le douze août, j¹obtins une permission de vingt-trois jours plus deux de délai de route.

 

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A peine arrivai-je à Toulon, que la Croix de Lorraine appareilla. Nous mîmes le cap sur la Corse. Le soir, nous mouillâmes au large de L¹Ile-Rousse. L¹officier en second m¹informa qu¹étant absent lors des ³performances³ de natation, je devais exécuter mon épreuve maintenant. Je n¹aurais qu¹à nager de l¹avant du bateau jusqu¹à un point qu¹il me désigna sur le pont, évaluant la distance comme étant conforme à celle requise pour la régularité du test.

On mit un canot à la mer dans lequel je pris place puis on se dirigea jusqu¹à l¹avant du bateau, je sautai à l¹eau et me mis à nager. Je ne connais que la brasse, ce qui est insuffisant lorsqu¹il y a une forte houle et un courant contraire, si bien qu¹ au lieu d¹avancer, je reculai. J¹eus beau m¹agiter comme un beau diable, rien n¹y fit. A la fin, quand même, le canot étant venu à mon secours, je parvins à boucler mes cent mètres en un temps record de huit minutes et quelques.

De retour à Toulon, nous reçûmes l¹ordre, deux copains et moi, de rallier Bizerte pour reprendre du service sur La Découverte qui avait fini ses travaux de carénage. Launay un matelot canonnier, Vigouroux un quartier-maître de première classe timonier et moi, nous prîmes le train pour Marseille où nous devions embarquer sur le paquebot Ville d¹Oran à destination de Tunis.

A Marseille, nous eûmes un petit incident amusant. Sortant de la gare Saint-Charles, nous nous trouvâmes dans une avenue comme on en trouve partout. Nous avions tellement entendu de dithyrambes sur la Canebière, que nous voulûmes nous y rendre, afin d¹admirer cette merveille que les Marseillais donnaient pour la plus belle et la plus grande avenue du monde.

Nous demandâmes à un passant de vouloir bien nous en indiquer le chemin, le quidam furieux, croyant que nous nous moquions de lui, nous insulta presque pour finir par nous dire que nous étions sur la Canebière. Ainsi, c¹était donc ce petit bout de rue, la Canebière ? dont les Marseillais étaient si fiers. Peuchère !Š

Nous fîmes toute la traversée sur le pont du paquebot. La Marine n¹ayant pas été jusqu¹à nous offrir une cabine, nous dormîmes à la belle étoile sur la plage avant, dans un transat, à l¹abri du brise-lame.

A Tunis, nous prîmes un autorail qui, après un parcours sous un soleil de plomb, nous déposa à Ferryville, quelques heures plus tard.

 

Nous réintégrâmes notre bâtiment, avec quelques petites modifications me concernant, par rapport à mon premier séjour. C¹est ainsi que mon poste de couchage se trouvait désormais au poste I et non plus au poste II.

La Découverte toujours en bassin de radoub, en avait presque fini avec son carénage. Quelques jours plus tard, nous fîmes quelques essais en mer, afin de parfaire le réglage des machines et des instruments de navigation. Puis, ce fut l¹appareillage pour Toulon.

Les côtes de Tunisie avaient disparu derrière nous, lorsque nous aperçûmes un point sur la mer, à l¹horizon. J¹étais alors de veille à la passerelle lorsqu¹un camarade donna l¹alerte. Aussitôt, tous les hommes de quart présents, pointèrent leurs jumelles vers l¹endroit indiqué, cherchant à identifier l¹objectif. On reconnut bientôt un dinghy avec trois hommes à bord. Nous fîmes route vers le canot pneumatique, les trois hommes visiblement épuisés parurent heureux de nous voir. D¹après leurs explications, ils étaient passagers clandestins sur un cargo, ayant été découverts, ils avaient été abandonnés sur le dinghy, avec juste un peu d¹eau comme provisions.

Nous les fîmes monter à bord, puis le ³Pacha³ ordonna de faire demi-tour, pour les remettre aux autorités militaires du port de Bizerte. Le retour à Toulon, se fit ensuite sans autres incidents.

Depuis le dix septembre j¹avais bouclé ma première année d¹engagement, en même temps que mon année due au titre du service militaire. C¹est-à-dire qu¹à présent, j¹allais percevoir une vraie solde de sept mille quatre cents francs, au lieu du prêt symbolique que reçoivent les appelés au service militaire.

Dès notre retour à Toulon, nous reprîmes nos activités habituelles. Sorties en mer, au large des côtes de Provence et de la Côte d¹Azur, avec exercices d¹écoutes sous-marines, parfois un largage de grenades, histoire de ne pas perdre la main. Dans ce dernier cas, nous mettions aussitôt un canot à la mer afin de récupérer les poissons tués par les explosions.

Par dérision, nous nommions ces courtes incursions au large, ³la Campagne des Salins d¹Hyères³.

Au mois d¹octobre, je touchais vingt et un mille sept cents francs, deuxième partie de ma prime d¹engagement. J¹en profitai pour me faire faire un caban sur mesure, auprès d¹un tailleur de Toulon ; celui fourni par l¹équipement, étant trop mal coupé dans un tissu de mauvaise qualité.

Le neuf novembre, muni d¹une permission de onze jours plus deux de délai de route, je repris le train pour la Ferté-Milon via Paris.

 

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Dès mon retour sur La Découverte, j¹eus la satisfaction d¹apprendre mon affectation à la Marine en Indochine à partir du premier janvier 1951.

Les jours suivants furent consacrés aux différentes visites médicales et séances de vaccination (variole, choléra, malaria).

 

Le quatre décembre, je pris le train pour la Ferté-Milon avec, en poche, une permission de vingt-six jours plus deux de délai de route. Ma prochaine destinationŠ la caserne de la Pépinière à Paris où je devais me présenter le trois janvier 1951.

 

Enfin, le trois janvier, le sac au carré, astiqué comme un sou neuf, je pris le train pour Paris. Je passai chez Daniel, rue Bayen, restai dîner le soir, puis je me rendis à la caserne de la Pépinière, lieu de rassemblement pour le détachement destiné à la DNEO (Division Navale d¹Extrême-Orient). Daniel m¹accompagna en taxi.

A l¹aubette, je fis viser ma permission et ma feuille de route, puis on me conduisit dans le dortoir qui occupait le premier étage d¹un des bâtiments. Il était près de minuit, la plupart des gars présents dormaient, je fis comme eux, je me couchai et m¹endormis.

Le lendemain, après le réveil et le petit-déjeuner, on nous rassembla dans la cour. Je retrouvai Sicard, Nézet et Rimasson, qui eux aussi, faisaient partie du même détachement que moi. Nous retrouvâmes également le chef Mouret, notre instructeur de Saint-Mandrier, promu au grade de Maître et qui maintenant, était affecté à la Pépinière. Une quarantaine de gars furent nommés, à l¹appel de leur nom il se mirent à l¹écart, l¹officier les prévint qu¹ils partiraient le soir même par avion, pour les États-Unis. Les autres ajouta-t-il, devront attendre demain.

Nous étions environ trois cents à partir. On s¹interrogea sur notre destination, partirions-nous tous aux États-Unis ? quarante à la fois, combien de temps cela durera-t-il ?

Le lendemain, un autre contingent d¹une quarantaine de gars fut appelé et prévenu de se préparer à partir le soir même. Aucun de mes copains, ni moi ne figurions dans le lot.

 

Dans la journée, on nous fit savoir qu¹il n¹y aurait pas d¹autres départs le lendemain ni les jours suivants, par conséquent, ceux qui habitaient à proximité pouvaient demander une permission exceptionnelle de soixante-douze heures. Aussitôt dit, aussitôt fait. Je fis ma demande à la minute même, et à quatorze heures dix, j¹étais dans le train me ramenant à Marolles. Surprise des parents et des voisins qui me croyaient en route pour Saïgon.

Le samedi soir, les parents de Jacqueline, Odette et Lucien son frère, vinrent à la maison, partager avec nous la galette des Rois. Eux aussi, furent étonnés de me voir, me croyant déjà loin.

Le lundi, je me pointai à la Pépinière à expiration de ma permission. L¹officier de garde à l¹aubette me demanda tout de go, si je désirais repartir. Devant mon étonnement, il me déclara que tout le contingent avait été renvoyé dans ses foyers, les départs étant suspendus pour une durée indéterminée.

Dix minutes plus tard je repris la direction de la gare de l¹Est, muni d¹une permission à durée illimitée et d¹un acompte sur ma prochaine solde.

Stupéfaction à mon retour à Marolles, les gens crurent que j¹avais déserté, j¹eus toutes les peines du monde à leur expliquer que, devant partir pour les États-Unis par avion, notre départ dépendait de la disponibilité des appareils.

Cela faisait un mois que j¹étais en permission et cela risquait de durer encore longtemps. Chaque jour, je guettais Battisacchi le facteur, qui m¹apporterait enfin, l¹ordre de rejoindre la caserne.

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Puis vint le mois de février. Les jours passèrent et je n¹avais toujours pas de nouvelles concernant mon départ. Je commençais à être inquiet quand le douze février, je reçus enfin une convocation m¹enjoignant de rallier la Pépinière le dimanche dix-huit février avant neuf heures.

Nous ne nous retrouvâmes qu¹une quarantaine, quarante quatre exactement, à être rassemblés le matin du dix-huit. On apprit que les quelque deux cents gars qui auraient dû être avec nous, avaient rallié l¹Indochine via le Canal de Suez, avec embarquement à Marseille sur le "Pasteur" ou l¹ "Athos II". En fait, nous étions les derniers à transiter par l¹Amérique.

Après une journée fébrilement passée à nous préparer au départ, l¹instant de celui-ci arriva. Un car militaire nous transporta jusqu¹à l¹aérogare des Invalides pour l¹enregistrement des bagages, puis il nous conduisit à Orly. L¹aéroport d¹Orly était loin de ressembler à ce qu¹il est devenu maintenant.

Nous attendîmes quelques minutes dans une petite salle d¹attente, puis on nous invita à rejoindre notre avion, un Constellation quadrimoteur à hélices de la Cie Air France. L¹appareil ne contenait pas plus de places que nous n¹étions, c¹est-à-dire quarante quatre personnes.

 

Il était vingt heures lorsque nous décollâmes, après que le commandant de bord et l¹hôtesse de l¹air nous eurent souhaité la bienvenue et un bon voyage. Peu après notre décollage, l¹hôtesse, Hélène pour les intimes, nous servit notre premier repas. D¹abord, apéritif, puis canapés au caviar, médaillons de langouste, canard à l¹orange, pommes nouvelles, petits pois frais, fromage, pâtisserie, fruits, champagne, cognac. Notre séjour indochinois commençait bien.

A une heure du matin, heure locale, trois heures à Paris, nous fîmes escale à Reykjavik en Islande. Hélène nous conseilla de nous couvrir chaudement pour parcourir les quelques mètres qui nous séparaient des bâtiments de l¹aéroport, dehors il faisait moins quarante cinq degrés C. Nous courûmes sur un sol recouvert de glace, jusqu¹à une cafétéria où nous attendaient de charmantes serveuses blondes aux yeux bleus, qui ne pouvaient nous laisser insensibles. Elles nous servirent des ¦ufs au bacon avec des toasts, de la confiture, des fruits et du café à volonté, toujours avec un sourire à damner plus d¹un marin. Décidément ce voyage était un pur enchantement.

Environ une heure plus tard, nous étant bien restaurés, le plein de carburant fait pour l¹avion, nous reprîmes notre vol. Mon voisin immédiat, Massardo, un Catalan de Collioure, sortit de son sac un litre au goulot bombé, caractéristique de la marque des apéritifs Saint-Raphaël et me le montrant, me dit.

‹ C¹est du BanyulsŠ Tu crois que les douaniers américains vont me laisser passer ça ? Š

Je fis une moue qui voulait dire " Probablement pas ", aussitôt il déboucha la bouteille que nous nous mîmes à siffler tous les deux.

Bien plus tard, le trajet durait dix-huit heures, lorsque Hélène nous servit notre deuxième repas, nous refusâmes l¹apéritif qu¹elle nous proposa, nous étions suffisamment euphoriques Massardo et moi.

Lorsque nous survolâmes le Canada, le jour se levait sur l¹Amérique. Nous étions au-dessus des nuages, ceux-ci ressemblaient à une mer moutonneuse, éclatante de lumière sous le soleil levant. Par des déchirures de la masse nuageuse, nous aperçûmes dessous, la terre recouverte de neige encore baignée de nuit.

Au terme de la traversée, du haut du ciel, nous découvrîmes New-York. L¹appareil vira autour de la Statue de la Liberté, puis survola Long-Island. Nous distinguâmes une immense fête foraine, déserte à cette heure matinale. Puis, ce fut l¹atterrissage à l¹aéroport de La Guardia. Il était neuf heures quinze, quinze heures quinze à Paris.

Fin du chapitre

 

Page TRIDENT

Chapitre IX l'Amérique

Chapitre X l'Indochine

Chapitre XI Brest