CHAPITRE XI - BREST

 

Le vendredi vingt-neuf mai, je pris le train pour Brest, permission terminée. Permission de fin de campagne s¹entend, j¹avais encore, pour l¹année en cours, quarante cinq jours à prendre, quand bon me semblerait.

A Brest, Nézet m¹accueillit à la gare. Il m¹avait promis de m¹y attendre et il avait tenu parole. Je devais rejoindre le Dépôt avant midi, il n¹était que huit heure du matin. Nézet, dont les parents habitaient à Saint-Pierre-Quilbignon, m¹invita à prendre le petit-déjeuner chez lui.

Ensuite, Nézet m¹accompagna jusqu¹à l¹entrée de l¹Arsenal, m¹indiquant la route pour parvenir jusqu¹au Dépôt de la Marine.

Je ne restai que vingt-quatre heures au Dépôt, ensuite je fus aiguillé sur le vieux cuirassé Paris, qui après avoir failli être coulé lors de la dernière guerre, servait maintenant de centre administratif à la flottille de patrouilleurs.

Une quinzaine de marins étaient présents, en attente d¹une affectation. On me donna un hamac, un rôle de plat, puis je passai une grande partie de mon temps en démarches administratives.

A bord, nous formions une bonne équipe. Lorsque nous n¹étions pas de service ‹ on nous employait surtout aux patrouilles de Police, en ville ‹ le soir, nous écoutions, ravis, un jeune appelé du contingent, clarinettiste de talent, qui nous enchantait avec son instrument dont il jouait en virtuose. Il était premier Prix du Conservatoire et il jouait dans l¹orchestre renommé, alors, de Raymond Legrand.

Au bout de quelques jours, mon affectation définitive ne m¹étant pas encore signifiée, je résolus de repartir en permission. Permission d¹autant plus nécessaire, que j¹avais reçu ma convocation pour passer le permis de conduire, le 17 juin.

 

Le six juin, muni d¹une permission de vingt-trois jours plus deux de délai de route, je pris le train pour la Ferté via Paris. Un autre marin, originaire de Reims, fit le voyage en ma compagnie.

........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

 

Dès mon retour à Brest, je regagnai le vieux Paris. Pendant mon absence, ma nouvelle affectation m¹avait été signifiée. Je me rendis sur mon nouvel embarquement, par chance c¹était encore un patrouilleur, le Carabinier, de la même classe que le Trident. J¹étais vraiment à l¹aise, sur ce type de bâtiment, la discipline y était assez relâchée, nous étions peu nombreux, ce qui facilitait des rapports plus étroits et plus amicaux entre l¹équipage d¹une part et les gradés de l¹autre.

Le Carabinier était à son poste d¹amarrage à l¹entrée de la Penfeld, accosté à un ponton, près du pont Guédon, petite passerelle flottante, mobile, qui reliait les deux rives de la rivière.

A bord, je retrouvai mon vieux camarade d¹Indochine, le vénérable quartier-maître de première classe Claude.

Dès mon installation à bord, je compris combien un séjour en Indochine, pouvait donner du prestige. Tout naturellement, je sentis une certaine déférence de la part du reste de l¹équipage. Il était vrai, que bien que n¹eusse pas encore vingt et un an, je faisais déjà figure d¹ancien, aidé en cela par ma connaissance parfaite de ce type de bateau.

J¹eus vite fait d¹être copain avec tout l¹équipage, particulièrement avec C.... (je ne me souviens plus de son nom) mon matelot torpilleur, le quartier-maître ³bosco² Le Guen et Bayle, officier mécanicien dans la marine marchande, mais s¹acquittant de son service militaire comme simple matelot dans la Royale.

 

Dans les jours qui suivirent, nous fîmes une sortie dans la mer d¹Iroise. Au retour, ma convocation pour un nouvel examen au permis de conduire, m¹attendait. Je refis une demande de permission, qui me fut accordée.

........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

 

Ma permission prit fin le vingt-neuf juillet. Ayant en poche mon précieux carton rouge définitif, reçu la veille, je regagnai Brest où j¹arrivai le 30 au matin.

 

Aussitôt, nous appareillâmes pour une visite de vingt-quatre heures, à Portsmouth, en Angleterre. A Portsmouth, je n¹eus aucune envie d¹aller à terre. Je pris la faction à la coupée, à la place d¹un camarade qui, bien qu¹ étant de service, voulait profiter de l¹escale pour visiter la ville.

 

De retour à Brest, nous nous retrouvâmes un soir, Bayle, Le Guen et moi, dans un bar, du côté du port de commerce. Nous étions les seuls clients, et nous discutions avec la patronne et une fille qui traînait son ennui, lorsqu¹un individu fit irruption.

Il portait une valise qu¹il posa sur une table, puis il vint vers nous, sortant de sa poche, une poignée de crayons à bille. Il se mit à nous débiter un boniment de camelot, nous présentant ses crayons, comme la dernière des grandes inventions.

Finalement il nous offrait dix stylobilles pour le prix de cinq. Nous allions lui prendre chacun un lot, lorsqu¹il nous avoua qu¹il s¹était fait roulé. Il avait acheté un stock de crayons, pour les revendre à la sauvette, quand il s¹était aperçu que ceux-ci étaient à quatre vingt dix pour cent, défectueux. Il ouvrit sa valise et nous dit de nous servir à volonté. Nous remplîmes nos poches, nous promettant de les vérifier un à un, afin de ne garder que les bons.

Lorsque nous rentrâmes à bord, vers minuit et demie, nous eûmes une autre idée. Nous réveillâmes les copains qui ronflaient à poing fermés et nous leur débitâmes le baratin, que le camelot nous avait enseigné. Nous avions seulement changé quelques termes, au lieu de dix crayons, nous n¹en offrions que cinq, mais pour le prix d¹un. Les copains encore endormis et plus ou moins ³ronchons² se précipitèrent pour profiter de l¹aubaine. Ce n¹est que le lendemain qu¹ils s¹aperçurent qu¹ils avaient été grugés. Comme nous n¹avions voulu que leur faire une blague, nous proposâmes de les rembourser, ce qu¹ils refusèrent, car sur les cinq crayons achetés, il y en avait parfois un qui fonctionnait.

Le vendredi quatorze août, nous quittâmes Brest en direction de la Manche. Le samedi, nous mouillâmes au large de la petite cité balnéaire de Locquirec, où fut tourné, vingt-quatre ans plus tard, le film Hôtel de la Plage.

Nous étions venus, à la demande de la municipalité qui désirait la présence d¹un navire de guerre, pour la grande fête de la station.

Nous débarquâmes par petits groupes, le youyou, dont nous disposions à bord ne pouvant transporter que cinq personnes à la fois. Bayle, Le Guen et moi, nous nous répandîmes dans la ville, parmi les autochtones et les estivants. Une ambiance joyeuse traînait dans les rues et les commerces. A midi, nous avisâmes un restaurant dont les prix nous parurent abordables. Nous nous installâmes dehors, sur la terrasse. Près de nous, un groupe de vacanciers parisiens gouailleurs, formé par deux couples, visiblement de la même famille, et leurs enfants et, à une autre table, seule, une jeune fille qui manifestement, s¹ennuyait.

Nous invitâmes la jeune fille à se joindre à nous, ce qu¹elle accepta avec empressement. Elle s¹appelait Marie-Thérèse, et elle était employée de maison, chez un docteur de Paris. Elle avait suivi son patron et sa famille, en vacances à Locquirec. Ce samedi était son jour de repos.

Nous déjeunâmes fort correctement, parlant d¹une table à l¹autre avec les joyeux parisiens. Au dessert, nous étions tous réunis à la même table. Nous prîmes des photos, nous nous échangeâmes nos adresses, que bien entendu, nous oubliâmes tout aussitôt.

L¹après-midi, il y eut plusieurs manifestations folkloriques dans les rues. J¹en profitai pour draguer, et je réussis à attirer l¹attention d¹une jeune fille, qui était de loin, la plus jolie de toutes celles qui étaient présentes. Elle s¹appelait Jacqueline J.. , et elle avait été élue Miss Locquirec. Nous quittâmes la foule et les festivités, pour nous retrouver seuls tous les deux, sur les dunes au bord de la mer. Nous flirtâmes tout l¹après-midi, nous faisant des serments d¹un amour éternel. C¹est vrai qu¹elle était jolie, et pas sotte du tout. Malheureusement, les jeunes filles, à l¹époque, n¹étaient pas aussi libres que maintenant, et le soir, elle n¹eut pas l¹autorisation de sortir. Je me retrouvait donc seul.

La soirée battait son plein, au grand bal clôturant la fête, et il y avait beaucoup d¹ambiance, quand le ³Pacha², pour quelle raison ? décida que l¹équipage devait être rentré à bord, à minuit.

La marée était montante, mais le petit port, devant l¹Hôtel de Bretagne, était encore à sec. En maugréant nous prîmes le chemin de la plage et nous attendîmes le youyou, en montant sur ³La Roche Tombée², un amas de rocher bordant ce côté de la plage. Le ³Pacha² et les officiers firent le premier voyage, puis ce furent les officiers mariniers, suivis par les hommes, plus ou moins ivres, que nous aidions à monter à bord de la barcasse. Chaque navette durait environ vingt minutes, et pendant ce temps-là, l¹eau montait. Nous étions encore une douzaine à rentrer, que nous avions déjà de l¹eau jusqu'aux chevilles.

Il y eut encore deux navettes, emmenant des copains plus ou moins gris, le tout dans le noir le plus complet. Nous guidions le youyou à la voix ; au dernier voyage, il n¹y avait plus que Bayle et moi. Lorsque le canot nous recueillit, nous avions de l¹eau jusqu¹aux épaules. Il était plus de deux heures quand nous arrivâmes à bord, bons derniers, trempés et exténués.

Le commandant, pas très fier, nous attendait sur le pont. J¹étais furieux, je lui fis part de ce que je pensais, de sa décision, puis, pris de colère, je me mis tout nu sur le pont et jetai mes chaussures à la baille ‹ de toute façon, elles étaient fichues ‹, et, mon uniforme dégoulinant d¹eau de mer, en boule sous le bras, je descendis dans mon poste d¹équipage.

 

Le jeudi suivant, je fus averti que l¹on me demandait sur le pont Guédon dit Petit-Pont. Le Pont National était alors en construction; en attendant sa mise en service, les civils avaient le droit d¹emprunter le Petit Pont, habituellement réservé aux marins, pour franchir la Penfeld et passer de Brest à Recouvrance. C¹était papa, maman et Paulette M... , qui, passant leurs vacances à l¹île de Batz, étaient venus me rendre visite. Lorsque mes parents avaient décidé de leurs vacances, ils avaient proposé à Paulette de les accompagner, c¹est pourquoi, elle était là aussi.

Nous ne restâmes pas longtemps ensemble, ils avaient un car à prendre pour rentrer à leur hôtel, et moi, je n¹avais pas beaucoup de temps à leur consacrer.

Le dimanche 30 août, Bayle et moi, prîmes le car pour Locquirec via Morlaix. J¹allais revoir ma douce Reine de Beauté, et Bayle, pensait retrouver Marie-Thérèse, la bonne du docteur. Nous étions en infraction, Morlaix, encore plus Locquirec, étaient hors du périmètre autorisé, pour les sorties sans permissions. C¹était une question de chance, il ne fallait pas se faire remarquer.

Nos retrouvailles avec Jacqueline, furent de courte durée. Nous étions tributaires des horaires de car, mais rendez-vous fut pris, pour le dimanche suivant, à Brest. Marie-Thérèse était repartie à Paris, Bayle était venu pour rien, si ce n¹est que pour m¹accompagner.

Le samedi 5 septembre, je reçus une carte de Jacqueline, m¹informant qu¹elle ne pourrait pas venir le lendemain.

 

Dans les jours qui suivirent, nous appareillâmes. A la sortie du goulet , nous mîmes le cap au sud. Arrivés au large de l¹estuaire de la Gironde, nous tournâmes en rond près d¹une bouée, autour de laquelle les concurrents d¹une course de voiliers devaient virer, avant de reprendre le cap au nord.

Nous étions là pour nous assurer de la régularité de l¹épreuve. La mer était mauvaise, beaucoup de copains étaient malades, mais qu¹était-ce en regard de ce qu¹enduraient les pauvres plaisanciers.

Après cet intermède, nous nous dirigeâmes sur Arcachon, où, toujours le trio infernal, Le Guen, Bayle et moi, nous fîmes une cure d¹huîtres, arrosées d¹un divin vin de pays.

Je reçus une nouvelle carte de Jacqueline qui s¹étonnait de ne pas avoir de mes nouvelles. Il était inutile de continuer entre nous, elle, retournait à son internat à Morlaix, où elle allait continuer ses études, moi à Brest, ou en mer. De toutes façons, elle était encore trop jeune et trop sous la dépendance de ses parents.

Puis nous continuâmes notre périple vers Bayonne, où nous restâmes deux ou trois jours. Ensuite, nous reprîmes la mer jusqu¹à Pasajès, en Espagne.

A Pasajès, nous reçûmes une invitation du Consul de France à San Sebastiàn. Une délégation d¹officiers, d¹officiers-mariniers et de marins, se rendit au cocktail offert par le Consul.

Dès mon arrivée au Consulat, je repérai une charmante demoiselle, à qui, je fis aussitôt, la cour. Bayle vint se joindre à nous, se posant en rival.

La jeune demoiselle était la fille du consul. Trouvant qu¹il y avait beaucoup trop de monde, et surtout trop de bruit, elle nous proposa de nous isoler dans une autre pièce. Nous emportâmes un plat de petits-fours, une bouteille de champagne et nous la suivîmes dans une salle contiguë, où nous pûmes badiner tout à notre aise et nous amuser comme des petits fous. Tout en restant corrects . Ah !mais.

 

Le cinq octobre, je fus muté sur le Grenadier, autre patrouilleur côtier. Lorsque nous étions à quai, le Carabinier, et le Grenadier étaient souvent accostés bord à bord, si bien que je connaissais parfaitement l¹équipage.

Les dispositions à bord étant les mêmes, je n¹eus aucune difficulté à m¹y faire une place. Je m¹y fis également une demi-douzaine de copains comme on ne s¹en fait qu¹une fois dans la vie.

J¹avais déjà pris mes habitudes à bord, lorsqu¹un soir, il y eut un grand remue-ménage sur le Grenadier.. Un gars revenant de permission, était la cause de cette effervescence. Il fut accueilli comme un héros, et quand il descendit au poste III, mon poste d¹équipage, le sien aussi, apparemment, j¹eus la désagréable sensation que je ne m¹entendrais pas, avec ce rouquin aux cheveux carottes. Heureusement, je me trompais sur toute la ligne, Jo Peuron, c¹était son nom, allait devenir mon meilleur, mon plus loyal, mon plus formidable copain entre tous.

Nous avions formé une bande d¹excellents copains, dont les principaux étaient : Jo, originaire de Lorient, Jacques Morin, un Parisien qui présentement, faisait son service militaire ; il était cuisinier à bord, comme il l¹était dans le civil, métier qu¹il exerçait au Savoy à Londres, c¹est dire si l¹on mangeait bien. Il y avait aussi, Guy Allard de Laval, Perroche de Quimper, André David de Honfleur.

Les semaines qui suivirent furent ponctuées de courtes sorties en mer. celles-ci nous conduisirent à la Rochelle, à Saint-Jean-de-Luz, ou bien encore à Bayonne.

Lorsque nous étions à Brest, nous allions en bande au Foyer du Marin, où le samedi soir, il y avait bal. En fait il y avait deux bals ce jour-là, un au rez-de-chaussée, plutôt fréquenté par les officiers-mariniers, donc plus guindé, l¹autre, au premier étage, où régnait une ambiance bon enfant. C¹était là, qu¹avec les copains cités plus haut, nous exercions nos talents de séducteurs (de tombeurs, pour citer Perroche).

Contrairement à Jo, Jacques, André ou Perroche, qui dansaient à la perfection, je ne savais toujours pas danser. La seule façon, pour moi, de capter l¹attention des filles, était de me livrer à des numéros de fantaisiste et ça marchait.

A notre table, il y avait toujours une brochette de beautés locales qui oubliant pourquoi elles étaient venues, riaient aux histoires drôles, que débitaient Jo mais surtout, ce pince-sans-rire d¹André David. Ah ! on peut dire qu¹il y avait une chouette ambiance.

La seule fois où il faillit avoir une bagarre, ce fut, lorsqu¹un soir, je saluai par une bise sur la joue, une copine qui dansait avec un autre matelot. Celui-ci, le prit très mal, croyant que je voulais lui souffler sa cavalière. Nous commencions à en venir aux mains, quand mes copains se précipitèrent pour nous séparer.

Jo expliqua à l¹autre gars, que la fille en question n¹était qu¹une bonne copine et qu¹il n¹y avait pas lieu de s¹énerver. Puis il repartit sur la piste de danse, me laissant face à face avec le jaloux. La danse terminée, les copains revinrent à notre table, où l¹autre ³mataf³ et moi, bras dessus bras dessous, étions en train de boire à notre santé mutuelle, nous jurant une amitié éternelle.

 

Avec Guy Allard, j¹allais parfois dans un petit bistrot, tenu par une vieille dame très gentille et sa jeune fille, Yvette. Guy était tombé amoureux d¹Yvette, et je crois, que c¹était réciproque. C¹est comme cela, que je fis la connaissance d¹Eliane J... , une superbe fille, au teint aussi rose que ses cheveux étaient noirs.

Eliane était vendeuse, dans un magasin de chaussures de la rue Jean-Jaurès. Presque tous les soirs, dès la fermeture du magasin, elle venait voir sa copine Yvette, avant de rentrer chez ses parents à Kérinou.

De fil en aiguille, Eliane et moi, nous tombâmes amoureux l¹un de l¹autre. Nous faisions un tas de projets, allant jusqu¹à envisager nos fiançailles.

De leur côté, Guy et Yvette s¹entendaient à merveille ; c¹est tout naturellement, que nous décidâmes de faire le réveillon de Noël, tous les quatre.

Jo, Jacques, André et Perroche étant allés passer les fêtes de fin d¹année dans leurs familles, nous n¹avions donc pas à craindre de passer pour des lâcheurs.

Guy, faisant son service militaire, n¹était pas très en fonds, par contre j¹avais une solde honorable, je décidai d¹assumer seul, les frais du réveillon.

Je retins une table à La Grappe de Raisin, un restaurant assez chic situé dans le haut de la rue Jean-Jaurès. Le propriétaire, craignant que des marins n¹effarouchâssent ses autres clients, fut d¹abord réticent, finalement il accepta, probablement à cause de ma bonne mine, de me réserver une table.

Nous réveillonnâmes, Eliane, Yvette, Guy et moi, dans une ambiance folle, Les autres clients, d¹abord réservés à notre égard, puis rassurés, sans doute par notre bonne tenue, se détendirent et nous acceptèrent sans retenue.

Nous étions une cinquantaine de joyeux fêtards, répartis en une dizaine de tables, disposées autour d¹une piste de danse. Un orchestre de jazz nous débitait les airs du temps.

Le repas, entrecoupé de danses, fut à la hauteur, comme peuvent l¹être les gueuletons de bord de mer. Je fis même l¹effort d¹esquisser quelques pas en compagnie d¹Eliane, mais je renonçai bien vite, n¹étant vraiment pas doué pour ce genre d¹exercice.

Nous terminâmes nos agapes, par une bouteille de champagne, ce qui eut pour effet de nous attirer les regards admirateurs de l¹assistance, et les courbettes du patron.

Nous quittâmes le restaurant vers cinq heures du matin, couverts de confettis et de serpentins, avec le sentiment d¹avoir vécu un excellent réveillon

Dans cette soirée, je venais de dépenser presqu¹un mois et demi de solde, mais je ne le regrettais pas.

Guy et moi, raccompagnâmes nos compagnes chez leurs parents, après quoi, nous rentrâmes à bord, prendre un court instant de repos.

L¹après-midi de Noël, nous nous retrouvâmes, Eliane et moi. Il tombait une petite bruine, nous décidâmes d¹aller au cinéma.

A l¹Eden on projetait La vie d¹un honnête homme, avec Michel Simon.

...........................................................................................................................................................................................

Prit-elle mon attitude pour du mépris, ou bien, fut-elle déçue de mon manque d¹empressement, toujours est-il, qu¹elle ne souffla plus mot de l¹après-midi. Lorsque je la quittai, devant chez elle où je l¹avais raccompagnée, elle fut d¹une froideur surprenante.

Le lendemain, elle refusa de me voir. Yvette, que j¹allais aussitôt consulter, fut aussi surprise que moi. C¹était un samedi, elle essaya d¹en savoir plus, auprès d¹Eliane, celle-ci lui déclara que tout était fini entre nous. Je fus extrêmement peiné, ne comprenant décidément rien aux femmes.

 

Je n¹avais pas prévu d¹aller en permission à Marolles, mais ce qui venait de m¹arriver m¹encouragea à me changer les idées, en partant quelques jours.

Il me restait cinq jours à prendre sur les quarante-cinq jours de permission auxquels j¹avais droit dans l¹année. Avec deux jours de faveurs et un jour de délai de route, cela valait le coup de partir. Je pris le train de nuit, le 29 au soir. Dans mon compartiment, je retrouvai le copain de Reims avec qui j¹avais déjà voyagé en juin.

........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

 

Mireille et moi, nous vécûmes deux mois ensemble. C¹était une chic fille au oeur gros comme ça, elle avait des goûts très simples, se contentant de peu ; au restaurant, par exemple, elle choisissait les plats les moins onéreux, me laissant la plupart du temps, une grande partie de sa portion.

‹ Mange disait-elle, tu en as plus besoin que moi.

Elle ne travaillait pas, mais je ne lui ai jamais demandé, comment elle se débrouillait, lorsque j¹étais en mer.

A voir le nombre de gars qu¹elle connaissait, je la soupçonnais bien de payer de sa personne, mais il n¹y avait jamais eu de contrat entre nous, elle était entièrement libre.

S¹il y en avait qui n¹étaient pas contents de ma liaison avec Mireille, c¹était les copains. Ils me reprochaient de les avoir laissé tomber, pour une fille au parler de marchande de poisson. Il était vrai que Mireille n¹avait pas un langage châtié. Elle me faisait honte quelquefois, lorsqu¹elle interpellait l¹une de ses connaissances, d¹un bord à l¹autre d¹une rue.

 

Nous étions en février. Depuis peu, l¹on m¹avait confié la charge de vaguemestre, et celle de responsable de la coopérative du bord. Tous les matins à huit heures, à l¹heure où l¹équipage s¹attelait aux tâches du jour, après avoir collecté le courrier à expédier, je passai chez le ³Pacha³, prendre celui destiné à la Préfecture Maritime. Là, je remettais les plis au planton de service, et prenais en échange, les messages que la Préfecture adressait à mon Commandant. Ensuite, je me dirigeais vers la grande Poste, rue de Siam, où je retrouvais mes collègues des autres navires.

L¹entrée du centre de tri de la Marine, était située rue d¹Algésiras, une rue perpendiculaire à la rue de Siam. Nous procédions nous-mêmes, au tri du courrier nous concernant. Vers onze heures, lorsque tout était fini, nous rentrions, chacun à son bord, pour distribuer les lettres, parfois les mandats et les colis.

Les après-midi, vers quatorze heures, je me rendais aux Service d¹Approvisionnement de la Marine, le S.A.M. derrière le Foyer du Marin, pour m¹y fournir aussi bien en matériels de première nécessité, comme papiers à lettre, stylobilles, eau-de-cologne, objets de toilette, mouchoirs etc qu¹en frivolités comme boîtes de caramels, chocolats, ou autres babioles.

Je rentrais à bord, avec mes achats, mettais ma comptabilité à jour ; puis de 16 h 30 à 17 h, j¹ouvrais ma boutique, à l¹adresse de l¹équipage, officiers et officiers-mariniers compris.

Après quoi, généralement, je ressortais en ville, allant rejoindre Mireille jusqu¹au lendemain 7 h. J¹avais la belle vie, sans soucis.

Ce samedi-là, je venais de faire la distribution du courrier, et je m¹apprêtais à sortir. La fonction d¹officier de garde était assurée pour le week-end, par le maître-principal Le B... , un vieux loup-de-mer, accumulant 27 années de service.

Le B... , un géant, une force de la nature, avait un défaut, il aimait boire un petit coup.

Comme il était prévu au règlement, je le prévins de mon départ.

‹Patron je vais à terre, et comme je ne suis pas de service demain, je ne rentrerai que lundi.

‹ Parfait, Daux Tiens avant de partir, viens boire un apéritif avec moi, je t¹invite.

Nous bûmes un apéritif puis deux puis trois.

Le B... qui en avait déjà plusieurs derrière la cravate, tenait à peine debout.

A la fin, je m¹en allai avant d¹en être au même point que lui. En partant, je lui renouvelai mon intention de ne rentrer que le lundi matin.

Le dimanche midi, Mireille et moi, nous étions en train de déjeuner dans un restaurant aujourd¹hui disparu, lorsque je vis entrer David, qui aussitôt, se dirigea vers moi et dit.

‹ Il faut que tu rentres à bord tout de suite, Le B... pleure comme un gosse, comme il ne t¹a pas vu à l¹appel, ce matin, il croit que tu es tombé dans la Penfeld en rentrant hier soir parce qu¹il pense que tu étais saoul.

Il ajouta :

‹ Il a fait sortir tout l¹équipage, même les hommes de service, pour te chercher en ville.

‹ Il est pas bien ? Je l¹ai prévenu hier, que je ne rentrerai que lundi. Je ne vais pas changer mes plans maintenant, tu diras à Le B... que je vais bien et qu¹on se verra demain matin.

Le lundi, lorsque je mis les pieds à bord, Le B.... m¹attendait à la coupée, il me prit dans ses bras et me serra à m¹en étouffer. Je l¹ai dit, c¹était une force de la nature.

‹ Ah ! Je suis content tu sais qu¹est-ce que tu m¹as fait peur. J¹ai bien cru qu¹on te retrouverait dans la Penfeld.

Le B... , avait parfois des visions, dues au délirium. Il nous avait raconté, qu¹un jour

‹ J¹étais allé à la chasse, avec mon ami, l¹Amiral X. C¹était à Dijon, dans les Bouches-du-Rhône, je ne vous dirai pas où. Il y avait de gros lapins bleus, comme ça, qui grimpaient aux arbres disait-il, en écartant les bras, indiquant une taille plus près de celle d¹un veau que d¹un lapin.

A part cela, c¹était vraiment un chic bonhomme.

 

Vers la mi-février, nous appareillâmes en compagnie des patrouilleurs Carabinier et Goumier, et des frégates La Découverte et La Surprise , pour une représentation au Maroc et en Algérie.

Joseph Peuron, Jacques Morin et moi, avions décidé, qu¹à notre retour, nous achèterions une voiture.

 

Nous accostâmes à Casablanca où nous restâmes cinq jours. Casablanca, encore sous administration française, était une belle ville moderne.

A cette époque, le Maroc était en proie à des revendications indépendantistes, se soldant parfois, par des attentats anti-français. Pour cette raison, il nous avait été recommandé de ne pas sortir seul, aussi, les cinq vaguemestres de la flottille, nous nous rendions à la Poste, ensemble.

De même, nous escortions Le Gall, le commis, lorsqu¹il se rendait au marché pour s¹approvisionner en produits locaux frais.

Ceci dit, la ville n¹était pas à feu et à sang, loin de là, et l¹accueil qui nous était réservé par la population, était excellent.

A Casablanca, il y avait un quartier réservé, célèbre entre tous, Bousbir. On ne pouvait pas être à Casablanca et ne pas visiter cet endroit, sans mourir idiot.

J¹avais avant, posé mes conditions à Jo et Jacques, pas question de dépenser un sou, il fallait penser d¹abord, à notre future auto.

Finalement, nous nous retrouvâmes une bonne vingtaine de gars, à la grille d¹entrée . Nous étions pour moitié, et du Carabinier et du Grenadier.

Des anciens nous avaient prévenus " Tenez votre bachis à la main, sinon vous vous le ferez prendre par les filles, et pour le retrouver, vous devrez consommer, et encore vous n¹êtes même pas sûrs, de le récupérer ".

Nous entrâmes dans ce monde grouillant, bruyant et odorant, où, comme dit la chanson, " l¹amour vous appelle devant chaque maison ". L¹amour ? Encore fallait-il ne pas être délicat. En tous cas, je me félicitai de la consigne que j¹avais donnée à mes deux complices.

 

Jo Peuron avait un frère qui était dans l¹Aéronavale, il était basé à Port-Liautey (aujourd¹hui Kénitra). Jo profita de notre séjour à Casablanca, pour solliciter la permission de lui rendre visite. Le ³Pacha³ accepta, à condition de ne pas y aller seul. Jo me demanda de l¹accompagner.

Nous prîmes le train à la gare de Casablanca, le samedi 20 février au matin. Nous voyageâmes dans des conditions atroces, en quatrième classe, avec les fellahs, leurs chèvres, moutons et volailles. C¹était vraiment folklorique. Les marocains nous regardaient comme des bêtes curieuses, mais sans agressivité, au contraire.

Nous passâmes une excellente journée à la base aéronavale, où le frère de Jo et ses camarades, mirent un point d¹honneur, à nous recevoir en grande pompe.

Le soir, nous rentrâmes à Casa, dans les mêmes conditions qu¹à l¹aller. Je crois même, qu¹il y avait encore plus de monde, puisqu¹on resta debout, pendant tout le trajet.

 

Au départ de Casablanca, nous remontâmes vers le nord, avant de franchir le détroit de Gibraltar. Nous accostâmes à Oran, le 26 février.

Oran était une belle ville, mais ennuyeuse à ce qui m¹a semblé. C¹était une ville bourgeoise, où, comme me l¹avait décrite Gonzalès, le copain de Saint-Mandrier, les relations étaient distantes, les habitants rejetant ceux qui ne faisaient pas partie de leur monde.

A Oran, il y avait cependant, des maisons de tolérance. C¹était les seuls endroits où nous avions quelques chances de ne pas nous ennuyer.

Ma consigne auprès de mes camarades était toujours valable, d¹accord pour entrer boire un verre ou deux, mais rien d¹autre.

Jo Peuron, respecta le pacte, mais Jacques succomba à la tentation. Pourtant, on ne pouvait lui en vouloir, les filles étaient jolies et faisaient tout ce qu¹il fallait, pour nous attirer dans leurs griffes. Ah ! Il fallait la vouloir, cette auto.

 

Nous quittâmes Oran, le 2 mars, pour rentrer à Brest. C¹est à la hauteur du cap Finistère, que la tempête se déclencha. Une tempête comme un marin n¹en rencontre qu¹une fois tous les cent ans.

Cela avait commencé en fin d¹après-midi de ce jeudi 4 mars. A ce moment-là, nous avions déjà des creux de douze à quinze mètres. A bord, nous étions tous tendus, aucun de nous n¹avait encore vu cela. Le Grenadier semblait comme un fétu de paille, ballotté de droite à gauche et d¹avant en arrière.

J¹avais pris mon quart à la barre, à 18 h. A ce moment-là, il faisait encore jour. Le commandant nous avait fait mettre à la cape, c¹est-à-dire face aux lames, vitesse réduite, juste ce qu¹il fallait pour maintenir le cap.

De véritables montagnes d¹eau se mouvaient devant nous; le bateau dressé presqu¹à la verticale, semblait vouloir gravir la masse liquide mais à mi-pente, vaincu, il s¹enfonçait dans la vague. Le sommet de celle-ci retombait alors avec une force inouïe, recouvrant, balayant le pont, la passerelle, le spardeck, jusqu¹à la plage arrière.

Ayant traversé la vague monstrueuse, le bateau restait un instant en équilibre, puis, soudain, plongeait vers le fond, s¹écrasant au creux de la vague, avec un bruit de gifle géante, faisant trembler la coque et gémir les superstructures. Puis il s¹enfonçait derechef, dans la mer en fureur, les hélices hors de l¹eau, tournant dans le vide.

L¹horreur ne faisait que commencer, car, lorsque je quittai mon quart à 20 h, les creux étaient alors de 18 mètres. Pour couronner le tout, une panne de générateur nous priva d¹électricité.

Je venais à peine de descendre dans mon poste, me cramponnant comme je le pouvais, lorsque le capitaine d¹armes vint me chercher.

‹ Daux : le ³Pacha³ veut que tu reprennes la barre. Il veut personne d¹autre.

Je remontai tant bien que mal, jusqu¹à la chambre de barre. La barre électrique ne fonctionnait plus, je dus embrayer la gouverne manuelle, ce qui n¹allait pas me faciliter les choses.

J¹annonçai dans le tube acoustique me reliant à la passerelle de navigation.

‹ Daux à la barre, cap au 350 !

‹ Bien gouvernez comme ça

‹ Comme ça au 350 .

Entre temps, une voie d¹eau s¹était déclarée dans une soute avant. La cloison qui la séparait de notre poste de couchage n¹était que de 5 mm et, sous la pression de l¹eau, elle commençait à s¹incurver. Malgré le mal de mer qui handicapait les 9/10ème de l¹équipage, l¹officier en second trouva des hommes, suffisamment valides, pour étayer la cloison qui menaçait de céder.

Au risque d¹être emporté par une vague, sur la passerelle de navigation, le patron bosco, muni d¹un fanal, faisait des signaux pour indiquer notre position aux navires qui nous suivaient.

De mon côté, j¹avais de plus en plus de mal à tenir la barre, il ne fallait surtout pas se laisser prendre de travers, c¹eut été le chavirement inéluctable. Parfois, la gîte était telle ‹ elle atteignit une amplitude de 56 degrés ‹, que mes pieds ne touchaient plus le sol, je me trouvais suspendu dans le vide, cramponné à la barre.

Cela dura plusieurs heures. Nous apprîmes, par la radio, qu¹un remorqueur, le Rhinocéros, répondant à notre appel de détresse, avait appareillé de Brest et faisait route vers nous.

Depuis la panne, une équipe d¹électriciens s¹affairait à remettre le groupe électrogène en état. Le courant fut rétabli vers trois heures du matin, alors que la tempête semblait décroître un peu.

Pendant ce temps, un autre groupe avec cet admirable Jo Peuron, équipé de scaphandres autonomes, plongeait dans la soute inondée, pour essayer de colmater la brèche.

Le matin, la mer devint moins forte, les creux n¹étaient plus que de 5 à 6 mètres, après ce que nous venions de subir, cela nous parut être le calme plat.

Depuis l¹accalmie, maintenant que nous avions retrouvé l¹usage de nos moteurs, nous faisions route sur Brest à 11 noeuds.

Dans la matinée, nous aperçûmes, venant à notre rencontre, le remorqueur Rhinocéros qui nous demanda si nous avions toujours besoin d¹aide. Les choses s¹étant améliorées, nous déclinâmes l¹offre d¹assistance.

A huit heures du matin, je fus relevé de mon quart, j¹avais passé toute la nuit, seul, à la barre.

Curieusement, je n¹étais pas fatigué, d¹ailleurs tout l¹équipage semblait requinqué, fatigue envolée, savourant le fait d¹être sains et saufs après être passé si près de la catastrophe.

C¹est bizarre d¹ailleurs, même au plus fort de la tempête, alors que nous étions au bord du naufrage, nous ne pensions pas à la peur, nous n¹en n¹avions pas le temps. Si la plupart des hommes d¹équipage, malades, à demi-inconscients, avaient revêtu les brassières de sauvetage, sachant qu¹elle seraient illusoires, les autres, absorbés par leur tâche, s¹efforçaient, dans la mesure de leurs moyens, de maintenir le bateau en état de naviguer, sans penser à rien d¹autre.

Le B... , qui pourtant nous avait dit avoir essuyé un cyclone, dans l¹océan indien, nous avoua que cela avait été de la rigolade, auprès de ce que nous venions de subir.

Dès que nous entrâmes dans le goulet de Brest, je commençai ma toilette, afin d¹être prêt à sortir, lorsque nous toucherions terre.

 

Depuis quelques temps, j¹avais des démangeaisons dans le bas ventre. Tout d¹abord, j¹avais cru à une irritation. Mais là, sous la douche, je m¹examinai de près. Je vis soudain, une petite bête courir près du nombril. Je montrais la chose à David qui m¹informa que c¹était un morpion. Je fus atterré, moi qui voulais sortir, c¹était le ciel qui me tombait sur la tête. De plus, j¹étais le seul apparemment, à subir cette avanie. Je cherchais où j¹avais bien pu attraper ces vilaines bestioles, à part le train Casa - Port-Liautey, je ne voyais pas.

J¹avais entendu dire, que le remède le plus efficace contre ce genre d¹ennui, c¹était le gas oil. Dès que nous fûmes amarrés à quai, je descendis tout nu, dans la salle des machines, je pris un morceau d¹étoupe que j¹imbibai de fuel, puis je me frottai sur tout le corps. Pendant ce temps, une dizaine de copains hilares, se penchaient par l¹écoutille, pour me regarder danser la gavotte, lorsque le gas-oil commença à m¹attaquer les parties sensibles.

Ensuite je filai aux douches. Cinq douches successives, je pris. Et je puais toujours le mazout. J¹eus beau m¹asperger d¹eau-de-cologne, rien n¹y fit. Les petites bêtes avaient disparu, mais l¹odeur que je traînais, me rappelait à ma honte.

A la fin, je décidai d¹aller quand même à terre, emportant avec moi, le suave parfum de gas-oil.

Le lendemain, un samedi, nous nous rendîmes Peuron Morin et moi, ‹ les autres : David, Allard et Perroche qui avait fini son service militaire, ne désirant pas s¹associer à l¹achat de la voiture ‹, sur la route de Guipavas, visiter une casse, histoire de voir si l¹on pouvait découvrir l¹occasion de nos rêves.

Nous trouvâmes tout de suite ce qu¹il nous fallait, une Mathys 1933, pas trop abîmée. Le casseur me laissa l¹essayer. Il tint à préciser, que le moteur en bon état ‹ il le destinait à un bateau de pêche ‹ consommait malgré tout, autant d¹huile que d¹essence. Mais ajouta-t-il, pas de problème, je vous donne un bidon de cinq litres d¹huile de vidange, et quand il sera vide, vous viendrez le remplir.

A part ça l¹état général était acceptable, l¹intérieur, tout en tissu, n¹était pas trop mité. Il fallait bien attacher les portes arrière, ensemble avec un bout (ficelle), car elles avaient tendance à s¹ouvrir dans les virages. Le plafonnier fonctionnait, la klaxon aussi. Par contre, les phares éclairaient peu, les pneus étaient lisses, la roue de secours plus petite que les autres. Il fallait la démarrer à la manivelle au début car plus tard, la première, ne marchant plus, il fallut la pousser en deuxième pour démarrer, ce qui excluait de l¹utiliser, seul.

Nous fûmes emballés. Nous la payâmes rubis sur l¹ongle, 22.000 francs , dont 17.000 à ma charge. Le casseur, s¹engageait en plus à faire la demande de carte de grise à la préfecture de Quimper. La voiture serait prête dans huit jours.

A Brest, le Grenadier entra en carénage, dans la forme de radoub près du Pont-National, dont la construction avançait à grands pas. Il fallait réparer la déchirure de la coque et procéder à un examen poussé du reste de la carène.

 

Nous avions un nouveau point de ralliement, un bar de la rue d¹Aiguillon. Ce bar appartenait à monsieur et madame S.... , qui n¹allaient pas tarder à devenir nos amis.

Monsieur S... était fonctionnaire, il revenait, lui aussi d¹Indochine où il avait servi dans l¹Administration. Madame S.... , une jolie brune, souriante et spirituelle, l¹avait suivi en Extrême-Orient. Ils avaient deux jeunes enfants.

Au bar, madame S.... se faisait aider par Maryvonne, une superbe blonde, aussi enjouée que sa patronne. Malheureusement pour ceux qui auraient aimé flirter avec elle, elle était fiancée et fidèle.

Nous nous réunissions presque tous les soirs, et comme maintenant, nous avions une certaine notoriété à Brest, tous les gars voulaient faire partie de notre groupe. Certains soirs, nous étions une trentaine de marins du Grenadier et du Carabinier réunis ‹ Mon copain Bayle était retourné dans sa marine marchande depuis longtemps et Le Guen était parti pour l¹Indochine ‹. Et toujours de la bonne humeur et de la correction. Jamais de disputes ou de bagarres ‹ c¹est d¹ailleurs pour cela, que tous voulaient venir avec nous ‹.

Un soir, il pouvait être 18 heures, notre équipe habituelle, c¹est-à-dire Jo, Jacques, Perroche, David, Allard et moi, nous décidâmes de faire une partie de pétanque, en pleine rue Jean-Jaurès. A cette heure, la rue était assez animée, aussi, nous attirâmes beaucoup de curieux. Nous jouions avec application, pointant, tirant, mesurant les points, le tout avec le plus grand sérieux. Les gens applaudissaient lorsque l¹un de nous réussissait un point difficile, enfin bref, c¹était une bonne partie.

Je revois encore ce petit vieux, élégamment vêtu, s¹arrêtant pour nous regarder jouer. A ce moment-là, David, en position de tireur, demandait à son coéquipier, de lui désigner la boule à chasser. Puis il fit le geste de tirer, le petit vieux regarda la boule partir, et ne vit rien du tout. Nous jouions sans boule, la foule massée autour de nous, était entrée dans le jeu, participant avec nous à ce superbe canular. Le petit vieux, lui, s¹en alla, haussant les épaules, la mine outrée.

Autre clin d¹¦il, de notre part. Chaque fois que nous descendions la rue de Siam, la nuit, vers les minuit - une heure du matin, arrivés à hauteur du magasin photo Crier - Le Bras, dix, quinze, vingt poitrines hurlantes, criaient à pleins poumons ³LeeeeŠ Brrrraaaas !!!!³. C¹était devenu un rite.

Nous allâmes chercher la voiture, route de Guipavas. Nous nous grisions de vitesse, pensez-donc, on arrivait à faire du 80 kmh dans les descentes. Heureusement d¹ailleurs, que nous n¹allions pas plus vite, car je m¹aperçus vite que les freins ne répondaient pas beaucoup.

Sur la route, je me débrouillais bien, mais dès que je roulais dans Brest, je demandais à Jo, qui avait son permis militaire, de m¹indiquer les feux de signalisation, car j¹étais trop absorbé à veiller à ne pas écraser les piétons, pour m¹occuper aussi des feux rouges.

Un jour, nous perdîmes le toit en toile de l¹auto, Il y avait un vent à décorner un boeuf, nous remontions la rue de Siam, lorsqu¹une bourrasque nous enleva la toile de moleskine. Impossible de s¹arrêter, la rue montait, nous n¹aurions pas pu redémarrer. Depuis, nous roulions dans une décapotable. L¹ennui, c¹est qu¹à Brest, il y avait souvent un petit crachin. Ces jours-là, Peuron, Morin et aussi David, qui avait fini par nous rejoindre ‹ comme il n¹avait pas participé à l¹achat, il payait l¹essence ‹, faisaient une tente avec nos cirés. Par la suite, nous piquâmes un parapluie, quelque part, et nous nous abritions avec.

Ah ! oui. Nous faisions sensation dans les rues de Brest

Un jour, alors que j¹entrai dans la cabine du ³Pacha³ pour prendre le courrier de la Préfecture Maritime, me remettant une convocation du Commissariat de Police. il m¹interrogea.

‹ Qu¹est-ce qui vous arrive, Daux ? Vous avez tué quelqu¹un ?

Je me demandai ce que pouvait bien vouloir dire cette convocation.

Le ³Pacha³ ajouta :

‹ Allez voir ce qu¹ils veulent, si vous avez un problème, on arrangera ça.

Au commissariat, je montrai mon papier. L¹inspecteur de service le lut, puis il se mit à rire.

‹ C¹est à toi, l¹auto ? On ne savait pas, sinon, on aurait mis le PV à la corbeille.

Puis il m¹expliqua. Un agent avait repéré la voiture, garée devant le cinéma Le Majestic ‹ où l¹on était entré pour assister au premier film en cinémascope : La Tunique ‹ et il avait relevé qu¹elle ne portait pas de plaque d¹identité (obligatoire à l¹époque), avec mon nom et mon adresse bien visible, sur le tableau de bord. Faisant du zèle, le sergent de ville avait dressé procès-verbal.

Le flic prit la contravention qui était sur son bureau, puis la déchira. Il me serra la main, répétant combien cette voiture était célèbre dans Brest.

Quand je racontai cela au commandant, il rigola et me répondit "Je savais bien que ce n¹était pas important".

 

Le samedi, nous allions toujours au bal du Foyer. Pour la drague, la voiture était formidable. Les filles se disputaient pour savoir laquelle aurait l¹honneur d¹être reconduite en auto. Pour ce faire, nous prenions place dans l¹auto, la fille et moi, les copains poussaient la voiture pour la faire démarrer, puis après, à dieu vat.

Lorsque je déposais la fille, chez elle, il ne fallait surtout pas que j¹arrête le moteur, je n¹aurais pas pu repartir.

Un soir, vers minuit, je reconduisis une fille qui habitait à Recouvrance. Le Pont-National n¹étant pas encore terminé, il nous fallut passer par le pont de l¹Harteloire. Tout allait bien, le moteur ronronnait comme un chat content. Pourquoi la fille voulut-elle me faire des papouilles ? Arrivés au milieu du pont, le moteur cala. Impossible de redémarrer, la fille furieuse ‹ l¹itinéraire que nous avions emprunté, lui rallongeait son chemin ‹, me traita de tous les noms, puis elle me laissa en plan, moi et mon auto qui m¹avait trahi.

Je dus faire à pied les quelques kilomètres qui me séparaient du Foyer, pour chercher du secours auprès de copains qui ne manquèrent pas de me charrier.

Une autre fois, tous les quatre, Jo, Jacques David et moi. nous décidâmes de quitter le Foyer, pour nous rendre à La Gavotte , à Kérinou.

Nous étions garés sur la rue Jean-Jaurès, à la hauteur de ce qui allait devenir l¹Hôtel de Ville. A cette époque, ce n¹était encore qu¹un trou béant. Les engins de terrassement avaient creusé une fosse de plusieurs mètres de profondeur pour construire les fondations.

Voulant faire demi-tour, je fis une marche arrière. La rue, à cet endroit était faiblement éclairée, mes phares ne portaient pas à cinq mètres, une petite bruine tombait, créant des reflets trompeurs sur l¹asphalte.

Tout ceci conjugué, fit que je ne vis pas le trou. Soudain, nous nous sentîmes partir en arrière, dévalant la pente presqu¹à la verticale, nous retrouvant, benêts comme il n¹est pas permis, mais sains et saufs quand même, quatre ou cinq mètres plus bas.

L¹auto avait eu la correction de retomber sur ses roues. Nous cherchâmes une sortie, heureusement il y en avait une d¹aménagée de l¹autre côté, pour permettre aux engins et aux camions, de remonter au niveau de la rue.

Nous allâmes quand même à La Gavotte. C¹était la première fois que nous allions dans cet établissement, à la réputation douteuse. Souvent des bagarres s¹y déclenchaient. Le patron, lorsqu¹il nous vit arriver, craignit une confrontation entre nous et les p¹tits Zefs , à la tête parfois trop près du bonnet.

Tout se déroula, pourtant de la meilleure façon, nous apportâmes, au contraire, à un établissement au bord de la narcose, notre manière de nous amuser, réveillant les habitués, créant une ambiance folle.

Lorsque nous nous en allâmes, le patron, vint nous saluer, et nous demanda de revenir les week-ends suivants, nous avouant qu¹il y avait bien longtemps qu¹il n¹avait vu une telle gaîté, confinant au délire, dans sa Boîte.

Pour nous, la soirée n¹était, hélas, pas terminée. Impossible de faire démarrer la voiture. Peuron, pourtant mécanicien, s¹avoua vaincu. Il n¹y avait plus qu¹une solution, la pousser.

C¹est ce que nous fîmes, poussant ahanant, suant, nous remontâmes l¹Allée Verte, cette rue qui part de Kérinou, pour rejoindre la rue Jean-Jaurès. Mais, pour monter elle montait l¹Allée Verte.

Lorsqu¹enfin nous parvînmes à la rue Jean-Jaurès, nous ne savions pas encore où nous allions laisser l¹auto. Finalement, nous optâmes pour la casse, route de Guipavas. Nous pensâmes que c¹était encore là, qu¹elle serait le mieux garée. Cela faisait encore deux bons kilomètres à pousser, heureusement, après la Place de Strasbourg, la route descendait légèrement, ce qui nous permit de souffler un peu..

Nous rentrâmes à bord à trois heures du matin, fourbus, éreintés. Mais alors quelle soirée!

A la suite de cette aventure, et aussi, parce que nous n¹avions plus de toit, nous décidâmes de louer une place de parking, dans un garage du côté de la rue Traverse. Nous étions ainsi plus tranquilles, lorsque nous étions en mer, de savoir la voiture à l¹abri.

Un jour, Jo Peuron, nous informa qu¹il avait invité un copain de son pays (un Pays, comme on disait dans la marine, à la façon des bretons) ‹ En Indochine, Rimasson breton pur beurre, qui avait toujours une façon elliptique de traduire les choses, m¹appelait Pays, quand il s¹adressait à moi ‹

Ce copain, vint déjeuner avec nous à bord, un dimanche. Avec Jacques qui était cuisinier, nous nous étions arrangés, pour faire un petit gueuleton entre nous.

Quel fut mon étonnement, quand je vis arriver le ³Pays³. c¹était Robert Le Boulch¹ en personne, mon remplaçant sur le Trident. Le monde est petit, quand même, mon meilleur ami était lui-même copain avec mon ancien pote d¹Indochine. Jo aussi, était surpris, il ne savait pas que Le Boulch¹ et moi nous nous connaissions. Les retrouvailles furent chaleureuses bien sûr, nous avions Robert et moi, tellement de souvenirs en commun.

De ce jour, à chaque fois que ce lui fut possible, Robert Le Boulch¹ participa à nos équipées du dimanche.

Justement, le 18 avril jour de Pâques, Le Gall le commis, nous invita, Jo, Jacques, Allard, Le Boulch¹ et moi, à partager le dessert, chez lui à Plougastel, à l¹occasion du baptême de son dernier né.

Après le déjeuner pris à bord, nous montâmes tous, dans notre superbe auto et nous nous rendîmes à l¹invitation du quartier-maître chef Le Gall.

 

Dans la semaine, à l¹instar de mes copains, je pris quelques jours de permission.

Le dimanche 25, maman avait invité les M... , au repas de midi, je ne me souviens plus en quel honneur.

Me rendant saluer la famille Ve... , j¹appris que Madeleine était en instance de départ pour le Canada, le Québec plus exactement. Elle s¹en allait avec ses deux enfants, rejoindre Serge son mari, qui était parti en éclaireur, afin de voir s¹il était possible de s¹installer là-bas, peut-être définitivement avec sa famille.

Cela me donna une idée, moi qui prochainement, allais quitter la marine, et qui n¹avais pas encore réfléchi à ma reconversion, pourquoi n¹irais-pas, moi aussi, y tenter ma chance ? D¹autant plus que, comme j¹avais dit un jour à Gislhaine, lorsque j¹étais gosse, "J¹ai envie de courir dans la Pampa". Et j¹avais toujours envie de courir dans la Pampa.

J¹en parlai à Madeleine, qui trouva l¹idée formidable. Et puis comme ça, on se sentira moins seuls, et puis…

Elle me donna la marche à suivre auprès du Service de l¹Immigration à l¹ambassade du Canada, où je posai illico, ma candidature au départ. Puis j¹attendis d¹être convoqué.

De retour à Brest, nous appareillâmes pour un petit périple, le long des côtes françaises de l¹Atlantique, avec un contingent d¹une vingtaine de réservistes.

L¹entente à bord, avec ces anciens, rendus à la vie civile, fut des plus cordiales. Il y avait suffisamment de place pour les loger tous, l¹effectif de l¹équipage, en temps de paix, étant d¹au moins 15% inférieur à ce qu¹il était en Indochine.

Notre premier mouillage, dans la petite baie de Bénodet, fut très court. Juste le temps d¹admirer la beauté du site.

Ensuite nous nous dirigeâmes vers La Rochelle, où nous accostâmes le matin du 12 mai. Je m¹apprêtais à sauter sur le quai, pour me rendre à la Poste, quand, passant près de Jacques Morin, j¹entendis celui-ci, montrant une fille parmi les badauds, sur le quai, dire à David :

‹ Vise un peu, la fille, là-bas, j¹suis sorti avec elle, quand on est venu ici, avec le Vega (un dragueur de mines). C¹est un bon coup, mais elle est collanteŠ je veux pas qu¹elle me voie.

Moi, je franchis la coupée qui venait d¹être installée, puis je pris le chemin de la ville. Soudain, je me sentis tiré par le bras, me retournant, je vis la fille que Jacques avait désignée tout à l¹heure.

La fille me dit :

‹ Jacques, tu ne me reconnais pas ? c¹est Monique, tu te rappelles ? nous avons passé de si bons moments ensemble.

J¹étais filiforme, Jacques aussi, peut-être avions-nous tous deux, un visage long, mais là, s¹arrêtait notre ressemblance. Pourtant la fille, Monique, me prenait manifestement pour lui. Je ne la détrompai pas, jouant le jeu qui commençait à devenir plaisant.

Je fis semblant de la reconnaître, nous nous embrassâmes comme des amants de longue date. Je lui expliquai que ce n¹était pas l¹heure des permissions, mais qu¹étant vaguemestre, je me rendais à la Poste, déposer le courrier et prendre celui qui nous était destiné. Elle voulut bien m¹accompagner, s¹étonnant toutefois, que je ne sois plus cuisinier. Elle ne me lâcha, que lorsque je remis le pied sur la coupée, me faisant promettre, aussitôt les permissions accordées, de passer le reste de la journée avec elle.

Effectivement, Monique était un pot de colle. Nous étions allés à une fête foraine. Jamais elle ne me laissa un instant de répit. Heureusement qu¹il y avait foule, sinon, je crois qu¹elle m¹aurait violé sur place.

Rentré à bord, je racontai aux copains, la tournure qu¹avait prise cette aventure, ce qui les amusa beaucoup. Un des réservistes, me demanda :

‹ Si t¹en as marre, refile-la moi.

Le lendemain, après-midi, j¹emmenai le réserviste avec moi. Monique, fidèle au poste, était là sur le quai. Je lui racontai que mon copain était seul, ne connaissant personne, il s¹ennuyait; voulait-elle bien, qu¹il nous accompagne ? Monique, bonne pâte, accepta.

Nous retournâmes à la fête. Le réserviste, fit preuve d¹un savoir-faire extraordinaire. Au bout d¹un certain temps, je pus m¹éclipser, sans que la fille ne se rende compte qu¹elle avait changé de partenaire. De cette aventure, il me reste une photo, qu¹elle me dédicaça, " en souvenir des bons moments qu¹elle avait passés avec Jacques ".

Après la Rochelle, nous descendîmes jusqu¹à Bayonne. Nous commencions à bien connaître la ville, c¹était la troisième ou quatrième fois que nous y venions.

A Bayonne aussi, il y avait une fête foraine, mais pas de Monique. Jacques, faisant mentir l¹adage, n¹avait pas une femme dans chaque port.

Le 28 mai, Joseph Peuron, Jacques Morin et moi, nous nous rendîmes au Bal de L¹Escadre, donné dans la salle des fêtes, aménagée sous les Halles Saint-Louis. Le célèbre accordéoniste Émile Carrara et son orchestre, en assurait l¹animation.

Il y avait foule; cependant, accompagnés de copines, nous avions réussi à réserver une table. Nous en étions là, Jo et Jacques dansant, moi, me contentant d¹écouter la musique, en compagnie de ma copine du soir, lorsqu¹un trio de filles, une brune, une blonde et une rousse flamboyante, s¹approchèrent de notre table, et nous demandèrent la permission d¹y prendre place.

Courtoisement, nous leur fîmes une place, allant chercher des chaises encore libres.

Nous n¹avions jamais vu ces filles, elles ne devaient pas fréquenter les mêmes endroits que nous. Pendant que la rousse dansait de son côté, nous fîmes plus ample connaissance avec la brune et la blonde. Elles dansèrent avec mes copains. Puis l¹une, la brune, je crois, me demanda pour quelle raison je ne dansais pas. Je lui répondis que je ne savais pas. Elle insista pour que j¹essaye et m¹entraîna presque de force sur la piste.

Ce fut une vraie partie de rigolade, j¹avais insisté pour que l¹on restât au centre, afin de ne pas me faire remarquer. La pauvre, j¹appris qu¹elle s¹appelait Jeanine, se tordait de rire. Je ne sais plus si c¹était une rumba ou une samba, moi, je faisais toujours les mêmes petits pas, lui écrasant les pieds sans vergogne.

Ensuite ce fut au tour de la blonde, Renée, de subir le même sort. Ce qui ne les empêcha pas, l¹une comme l¹autre, de m¹entraîner pour d¹autres danses.

La brune était piquante et rigolote, la blonde plus réservée, me plaisait beaucoup. Quant à la rousse, elle semblait de mauvaise humeur, et ne nous adressa que peu, la parole.

Le bal fini, les trois filles, Jeanine la brune, Renée la blonde et Madeleine la rousse, partirent de leur côté. Je leur avais bien proposé de les raccompagner en voiture, mais elles refusèrent. Nous nous quittâmes sur la promesse de nous revoir très bientôt.

 

........................................................................................................................................................................................................

 

Un samedi soir, un grand bal fut organisé à Ploudalmézeau, à l¹occasion d¹une fête locale ‹ on ne parlait pas encore de Fest Noz ‹. Nous décidâmes de nous y rendre, Peuron, David, Allard, le frère d¹Yvette et moi. Notre arrivée fit sensation, nous fûmes fêtés, invités de toutes parts, pensez quatre marins venus de Brest, spécialement pour la fête.

Au bal, les copains dansèrent. Pendant ce temps, je fis des man¦uvres d¹approche, vers celle qui me parut être la plus belle fille du pays. En fait, elle avait été élue reine de Ploudalmézeau. Nous flirtâmes une bonne partie de la soirée, mais lorsqu¹elle voulut me présenter à son père, qui était aussi le maire du village, je courus vers les copains, et donnai le signal du départ.

Au retour, j¹eus du mal à me repérer sur la route, les phares n¹éclairaient pas à cinq mètres, et encore d¹un pâle rayon blafard. Soudain, je distinguai, là devant moi, un énorme tas de sable. Je crus que ce sable avait été déposé dans un virage, par les cantonniers. Aussitôt, je braquai à gauche, pensant que la route tournait. Las nous nous retrouvâmes dans le fossé. La route était bien droite, ce que j¹avais pris pour du sable était tout simplement une épaisse nappe de brouillard.

Heureusement à nous cinq, nous n¹eûmes aucune difficulté à remettre l¹auto dans le droit chemin, après quoi, David marcha devant, pour me guider, jusqu¹à ce que nous eussions dépassé la masse brumeuse.

 

Le commandant me confia, un jour, une drôle de mission. J¹embarquai sur le remorqueur Rhinocéros, avec lequel nous nous rendîmes en mer d¹Iroise. Je m¹étais muni d¹un instrument ressemblant à un râteau et je devais avec cet instrument, évaluer la précision des impacts de tir, que la frégate Surprise, devait effectuer sur cible remorquée. Je n¹étais pas préparé à ce genre d¹exercices, n¹oublions pas que j¹étais torpilleur, et non pas canonnier.

Le Rhinocéros se positionna à mi-distance, en léger retrait, de la Surprise et de la cible, halée par un autre remorqueur. A chaque salve, à l¹aide de l¹instrument, dont on m¹avait succinctement expliqué le fonctionnement, j¹évaluai les erreurs de tir, notant les écarts, inscrivant les distances, marquant les coups au but. Bref, je dus m¹en sortir honorablement, car je ne reçus aucun reproche sur ma prestation.

 

Peu de temps après, nous appareillâmes pour Cherbourg. Ce n¹était qu¹une courte visite de deux jours, que nous devions effectuer dans ce port.

Dès les manoeuvres d¹accostage terminées, je descendis à terre, afin de me rendre à la Poste, déposer courrier et mandats expédiés par l¹équipage, et prendre en échange, les lettres destinées à notre bord.

Je croisai alors, ce cher vieux Claude, lui-même vaguemestre du Carabinier, qui nous avait précédés de peu. Claude qui revenait de la Poste, m¹interpella :

‹ Tinambo ! ‹ depuis l¹Indochine, c¹était le surnom qu¹il me donnait ‹ . J¹ai vu ta fille, elle est barmaid dans un café. Je lui ai dit que tu allais venir, elle t¹attend.

‹ Quelle fille ?

‹ Tu sais bien, Mireille.

Il m¹expliqua où je pourrais la trouver. C¹était tout simple, je devais obligatoirement passer devant son café pour aller à la Poste.

En effet, lorsque j¹entrai dans le troquet, Mireille était là, m¹attendant. Le bar était vide à cette heure matinale. Elle m¹embrassa, sans rancune, heureuse au contraire de me voir. Moi aussi, j¹étais content. Depuis notre différend, je ne l¹avais plus revue et j¹ignorais ce qu¹elle était devenue.

J¹étais soulagé de la savoir avec un travail honnête, et qu¹elle ait trouvé refuge dans une ville, où manifestement, ses anciens bourreaux ne viendraient pas la chercher.

Je continuai mon chemin jusqu¹à la Poste, contre promesse de repasser la voir à mon retour. Lorsque je revins, une petite heure plus tard, nous bûmes un Saint- Raphaël, qu¹elle tint absolument à m¹offrir.

Au retour à Brest, alors qu¹au petit matin nous abordions le Goulet, j¹étais à mon poste de propreté ‹ lorsque nous étions en mer, j¹étais astreint, comme les autres membres de l¹équipage, à participer à l¹entretien du bateau ‹ qui consistait à arroser le pont, à l¹aide d¹une manche à incendie branchée sur l¹eau de mer, pendant qu¹un collègue frottait le pont avec un balai-brosse.

Je ne sais pas ce qu¹avait l¹officier en second, mais depuis l¹appel du matin, il n¹arrêtait pas de tourner en rond, gesticulant, criaillant, critiquant tout et rien. A la fin, excédé, je tournai la manche vers lui, et l¹arrosai de pied en cap.

Je vis sa bouche s¹arrondir, comme pour chercher son aspiration, pendant qu¹il me regardait de ses yeux exorbités par la surprise. Dans un premier temps, ceci eut pour effet de le calmer, puis il se mit à glapir, comme une poule poursuivie par un renard.

‹ Daux, je vous colle au rapport du commandant !

Ceci signifiait que je pouvais écoper, compte tenu de la gravité de l¹offense, d¹au moins 15 jours de prison (militaire, s¹entend).

Je regrettai aussitôt mon geste impulsif, qui, à moins de trois mois de la quille, risquait de me valoir une prolongation de mon temps, au moins égale à celui passé aux arrêts.

Je m¹attendis au pire. Je ne sais pas si l¹officier en second, avec qui, par ailleurs, j¹entretenais les meilleures relations, décida d¹oublier l¹incident, ou bien si c¹est le ³Pacha³qui refusa de donner suite au rapport, toujours est-il, que je ne fus inquiété en aucune manière.

 

Je fus convoqué à l¹Ambassade du Canada, pour y passer un examen médical. Je pris une permission de deux jours, juste pour satisfaire à cette obligation.

 

Le 20 juin, toujours avec Peuron, Le Boulch¹ et Morin, nous nous rendîmes à la fête de Plougastel. En cours de route, la Mathys qui était de plus en plus poussive, nous lâcha à mi-chemin.

Comme nous étions aussi près de Plougastel que de Brest, nous décidâmes de continuer à pieds, laissant l¹auto sur le bas-côté de la route.

A Plougastel, je rencontrai Renée C... et Jeanine L... , venues sans Madeleine, qui de son côté, avait à remplir certaines obligations familiales.

Je laissai les copains pour me consacrer aux deux demoiselles, avec qui, je passai le reste de l¹après-midi.

Lorsqu¹il fallut revenir à Brest, je m¹aperçus que je n¹avais plus d¹argent sur moi. Ces deux charmantes, au rire moqueur, m¹avancèrent le prix du voyage, dans le car qui nous ramena tous les trois à Brest.

Je ne me souviens plus comment nous avons récupéré l¹auto, mais ce dernier incident nous incita à nous en séparer. Je la revendis au propriétaire de la casse, pour la moitié du prix d¹achat, c'est-à-dire onze mille francs que je partageai en quatre, à part égale, entre Jo, Jacques, David et moi.

Au départ, j¹avais misé la plus grande partie du prix d¹achat, David, lui, n¹avait rien donné du tout ‹ il avait cependant, payé une bonne partie de l¹essence ‹ mais c¹était ainsi, c¹était ça l¹amitié, la vraie.

 

Depuis quelques temps, j¹avais une grosseur derrière le lobe de mon oreille gauche. Au début, ce n¹était qu¹une sorte de petit bouton sans importance. Petit à petit, cela s¹était mis à enfler au point de m¹en déformer l¹oreille. Et cela commençait à me faire mal, très mal même. David, bien qu¹il fut canonnier, faisait office d¹infirmier à bord, il me conseilla de m¹inscrire à la visite médicale.

Je suivis son avis et me présentai le lendemain devant le médecin militaire, à bord du vieux cuirassé Paris. Le médecin, un jeune aspirant, sursitaire tout droit sorti de l¹école, m¹examina, fit la moue et me dit :

‹ Ce n¹est pas bien beau, moi, je ne sais pas quoi faire, le mieux , c¹est d¹aller à l¹hôpital.

Je revins à bord, furieux contre ce jeune crétin, incapable de prendre une décision.

Et ça me faisait de plus en plus mal, avec des élancements qui allaient, maintenant, jusque dans le cou.

David, à qui je racontai la chose, me répondit

‹ Veux-tu que je m¹en occupe ?

‹ D¹accord, J¹peux pas rester comme ça.

Il fouilla dans son armoire à pharmacie, prit du coton, une bouteille d¹éther ‹ on désinfectait beaucoup à l¹éther, à cette époque, on ne pensait pas encore à la drogue ‹. Il prit, ensuite, une lame de rasoir qu¹il passa sur la flamme de son briquet et me dit :

‹ Baisse la tête et bouge pas.

Il incisa l¹abcès, aussitôt, au fur et à mesure que celui-ci se vidait, je sentis un immense soulagement.

Lorsque l¹abcès fut vidé entièrement, David nettoya la plaie, il l¹enduisit d¹une pommade aux sulfamide et recouvrit le tout, d¹un simple morceau de gaze qu¹il fixa à l¹aide d¹une bande de sparadrap.

Je me sentis tout neuf, je n¹avais plus le poids de cette douleur lancinante qui me taraudait depuis plusieurs jours.

Le lendemain, David m¹enleva la gaze, la plaie était belle, propre, il me conseilla de la laisser à l¹air libre pour en accélérer la cicatrisation.

Deux jours plus tard, je n¹avais plus rien.

 

C¹est à cette époque, aussi, que je reçus une étrange lettre. Elle émanait du Service du Personnel de la Marine. Il y était question, que je m¹inscrive à l¹École de navigation sous-marine. Pour ce faire, je devais prolonger mon engagement d¹au moins trois ans.

Je n¹étais pas volontaire pour embarquer sur un sous-marin, je me sentais plutôt claustrophobe et je ne me voyais pas enfermé dans un cylindre malodorant, avec de l¹eau tout autour.

De plus, pour embarquer sur un sous-marin il n¹était nul besoin d¹apprendre, dans une école, l¹apprentissage se faisait sur le tas. Je n¹étais pas officier donc je n¹avais pas à diriger un navire, quel qu¹il fût ?

J¹allais voir l¹officier en second, afin qu¹il m'éclaira sur ce document, lui non plus ne sut que me répondre.

Je décidai d¹en rester là.

 

Le vendredi suivant, je crois, nous eûmes quartier libre pour l¹après-midi, à l¹occasion de l¹arrivée du Tour de France. Nous nous plaçâmes sur le parcours du côté du Moulin-Blanc, l¹arrivée devant avoir lieu sur le cours Dajot. J¹étais heureux, mon favori Louison Bobet, était bien placé au classement général (il remporta le tour), ainsi que la plupart de mes idoles.

J¹eus même la chance de les reconnaître au passage, lorsque noyés dans le peloton, ils défilèrent à toute allure devant nous: Raphaël Géminiani, Nello Laurédi, Apo Lazaridès, André Darrigade .

Après l¹arrivée, nous nous retrouvâmes tous à notre quartier général, chez S... . Nous étions là depuis un petit moment, lorsque quatre ou cinq types entrèrent et prirent place à une table. L¹un d¹eux nous invita à nous joindre à leur groupe, et nous offrit l¹apéritif.

Il nous présenta un de ses compagnons, Claude Dupuis, un chanteur qui avait eu une certaine notoriété, mais dont la cote baissait. Personnellement, j¹aimais assez cet interprète à la belle voix grave, ainsi que son répertoire.

Comme Yvette Horner et bien d¹autres, il suivait le Tour, donnant son spectacle chaque soir, dans les villes-étapes. L¹impresario nous demanda de venir assister au tour de chant de son poulain, avec tous les copains que nous pourrions amener, pour faire la claque. Nous promîmes tout ce qu¹il voulut, cela n¹engageait à rien. De toute façon, le soir, moi, j¹avais rendez-vous avec Madeleine.

Madeleine et moi, nous assistâmes, le soir, au spectacle d¹étape du Tour, Place Saint-Louis. Nous écoutâmes entre autres, le tour de chant de Claude Dupuis. Claude Dupuis était peut-être en fin de carrière, mais il avait toujours ses supporteurs, et n¹avait nul besoin d¹une ³claque³ artificielle.

Madeleine et moi, nous nous revîmes le 11 juillet, à la fête des Cornemuses, puis le 14 juillet, sous la pluie.

 

Le dimanche 18 juillet, j¹étais de service à bord, en remplacement d¹un copain, breton, parti en permission de quarante-huit heures. Je lui devais bien cette faveur, car lui, bien souvent me rendait la pareille, en semaine.

A vingt heures, je pris mon quart à la coupée, qui devait se terminer à minuit. Vers vingt trois heures trente, Peuron, Morin et David, qui tous trois étaient sortis en ville, rentrèrent à bord. Ils apportaient des bouteilles de bière qu¹ils avaient l'intention de partager avec moi, sachant que je serais de faction à l¹heure de leur retour.

Tous les quatre, nous nous installâmes dans le PC Radio, où nous étions sûrs de trouver des sièges. A cette heure-ci, il ne devait pas y avoir de problèmes, même si je délaissais momentanément, la surveillance de la coupée.

Nous étions tous les quatre, en train de boire nos bières, pendant qu¹ils me racontaient leurs exploits de la soirée, lorsque soudain, la porte du PC s¹ouvrit violemment. Le Commandant titubant, la casquette de guingois, les cheveux hirsutes, les yeux hagards, fit irruption criant :

‹ Factionnaire !

Puis soudain, m¹apercevant assis, la bouteille à la main, il cria :

‹ Ah ! c¹est vous Daux ! Ton compte est bon passant du voussoyement au tutoiement, puis il s¹éclipsa toujours titubant.

J¹étais à moins d¹un mois de la quille, je pensai aussitôt, à la tuile qui m¹arrivait.

Par malchance, le ³Pacha² qui habitait en ville, était rentré inopinément, à un mauvais moment. Il faut dire, que chaque fois qu¹il avait bu un petit coup, et cela lui arrivait souvent, sa femme le jetait à la porte, l¹obligeant à chercher refuge à bord.

Le lendemain matin, je fis comme si de rien n¹était, je frappai à la porte de sa cabine pour prendre le courrier de la Préfecture. Dans la cabine, je ne trouvai que son maître d¹hôtel qui était en train de refaire le lit. Je lui demandai où était le ³Pacha³; le maître d¹hôtel, un matelot de Paimpol, faisant son service militaire, me répondit en riant :

‹ Il vient d¹être emmené à l¹hôpital, il s¹est cassé un bras hier soir, en te cherchant partout, il est tombé dans les grenadeurs.

Ouf ! j¹étais sauvé, une fois de plus.

Dès le lendemain, ma tournée postale quotidienne, se trouva enrichie d¹une visite obligée, à l¹Hôpital Maritime. Chaque jour, j¹apportais le courrier destiné au ³Pacha³ qui, toute rancune oubliée, me disait en me tapant sur l¹épaule :

‹ Alors Daux Content de te voir. Viens, on va se taper un petit apéritif.

Et chaque jour, son bras plâtré porté en écharpe, il m¹entraînait au Foyer de l¹hôpital, m¹offrir un Saint-Raphaël, alors mon apéritif préféré.

Il resta environ une semaine à l¹hôpital, avant de regagner le Grenadier. Entre temps, nous avions pu assister, de notre notre poste d¹amarrage, à l¹inauguration, en grandes pompes, du Pont-National.

Peu de temps après le retour du Commandant, le Grenadier entra en grand carénage, dans la forme de radoub, côté Recouvrance. Le pauvre bateau, souffrait encore, des séquelles de la tempête du début mars.

Je crois savoir, qu¹il fut désarmé l¹année suivante.

..........................................................................................................................................................................................................

 

Début août, Morin, Peuron et moi, nous fûmes invités à déjeuner chez les S... . Ils étaient devenus de vrais bons amis.

Lorsque je fis l¹arrosage de mon départ, quelques jours plus tard, madame S.... n m¹offrit un modeste cadeau d¹adieu, qui me toucha beaucoup, un cendrier en faïence, portant en exergue, l¹inscription " Les femmes se rendent et ne meurent pas " tout un programme.

Lorsque le 11 août, muni d¹une permission libérable, je pris le train, en gare de Brest, tous les copains du Grenadier et du Carabinier, les S... , Maryvonne et son fiancé, plus une nuée de filles, parfois accompagnées de leurs petits copains, m¹accompagnèrent sur le quai, ce qui créa une belle pagaille.

Par respect (ridicule) à un serment que j¹avais fait, aux heures sombres passées à Saint-Mandrier, je quittais mes copains, mes amis et tout ce qui était devenu ma vraie vie.

 

Dans les jours qui suivirent mon retour à la vie civile, j¹entrepris les dernières démarches auprès de l¹Ambassade du Canada. Après avoir obtenu mon visa, le 19 août, je contactai la Canadian Pacific Railways, qui me réserva un passage pour la somme de 56.000 francs soit 165 US $ , sur un paquebot, le S/S Arosa Star, partant du Havre le 4 septembre 1954.

Je profitai des derniers jours à passer en France, pour revendre ma moto. C¹est Lucien B... qui me la reprit, pour environ, la moitié de son prix d¹achat soit 60.000 F.

 

Le 4 septembre à 8 heures 45, je pris le train spécial, partant de la gare Saint-Lazare pour Le Havre.

Après les formalités douanières et policières, alors qu¹un orchestre installé sur le pont promenade jouait The quiet man, tous les passagers du train embarquèrent à bord de ce superbe paquebot de douze mille tonnes, le S/S Arosa Star, de nationalité suisse, à équipage allemand et au personnel de cabine et stewards, italien.

 

 

Fin de chapitre XI

René et sa célébre MATHYS modéle 1933

Emile MATHYS

 

 

Page TRIDENT

Chapitre VIII Toulon

Chapitre IX l'Amérique

Chapitre X l'Indochine