CHAPITRE X - L¹INDOCHINE

 

A dix-sept heures trente, l¹heure des permissions, Le Bloas qui entamait son deuxième séjour en Indochine, nous prit, Moreau et moi, sous sa houlette pour nous faire découvrir les charmes de Saïgon.

Nous étions tout de blanc vêtus. Notre uniforme se composait d¹une chemisette coloniale, d¹un pantalon acheté dans les magasins de l¹US Navy, autrement plus seyant que les pantalons français, de chaussures noires, basses, de belle qualité, également achetées aux USA, et notre bachis était recouvert d¹une coiffe blanche. Nous étions beaux.

Notre première visite fut pour le Corsica, un bar proche de la rue Catinat ‹ la rue de la Paix saïgonaise ‹. Les retrouvailles entre Le Bloas et la patronne furent joyeuses et bruyantes. Apparemment, Le Bloas avait laissé un très bon souvenir, ce qui nous valut de boire un apéritif (un Martini, pour moi) aux frais de la maison.

Puis Le Bloas nous entraîna dans un restaurant annamite, où l¹on servit, pour lui et Moreau une soupe chinoise, et pour moi, trois demi-langoustes géantes, grillées au feu de bois.

Comme Moreau et moi, nous nous étonnions de voir la devanture ouverte sur l¹extérieur, grillagée, il nous répondit que c¹était pour prévenir les attentats à la grenade.

Nous nous insurgeâmes ensuite, contre la négligence du restaurateur, consistant à laisser tous ces petits lézards courir sur les murs. Le Bloas se mit à rire, disant que ce n¹était que des margouillats inoffensifs, bien utiles pour éliminer les moustiques, et qu¹on en verrait partout.

Décidément l¹Orient réservait bien des surprises. A première vue, pourtant, Saïgon, si ce n¹était les vélos-pousses et les motos-pousses, pouvait ressembler à n¹importe quelle ville de province du sud de la France, avec ses larges boulevards et ses avenues bordés d¹arbres.

Nous finîmes la soirée, au Parc à Autruches, immense bordel où une centaine de filles officiaient sous la surveillance attentive de mères maquerelles, dans des cagnas de cinq ou six alvéoles, disposées tout autour d¹une grande cour intérieure.

Lorsque vers minuit, nous quittâmes les lieux grouillant de marins, de soldats, de légionnaires de tirailleurs sénégalais et de tabors marocains, nous dûmes nous soumettre à des soins préventifs effectués par des infirmiers, sous le contrôle d¹un médecin-major. Nous rentrâmes à bord, affalés dans des motos-pousses conduits avec virtuosité par des annamites hilares.

 

Les jours qui suivirent, furent consacrés à remettre le bateau en état. Tout d¹abord, nous montâmes la tente de pont, immense toile tendue sur des filins d¹acier, couvrant la totalité du pont, de la proue à la poupe .

Dès notre arrivée, nos heures de travail furent soumises à un nouveau régime. Celui-ci n¹était pas pour nous déplaire, car s¹il n¹y avait rien de changé pour le matin, l¹après-midi, nous ne reprenions le travail qu¹à quinze heures trente jusqu¹à seize heures trente, après une sieste obligatoire de trois heures.

Nous remîmes aux services d¹approvisionnement, tous les vêtements chauds, tels les blousons fourrés fournis généreusement par l¹US Navy, qui ici, ne nous seraient plus d¹aucune utilité. Nous échangeâmes les vieux fusils américains Springfield, contre des armes françaises. Nous fîmes les pleins de ravitaillement et de munitions.

Le ³Pacha³ passait son temps à l¹État-Major, où on lui expliqua le but de nos missions futures. En prévision de celles-ci, nous embarquâmes Barbier, un infirmier.

La majorité de l¹équipage, gradés et marins, avait adopté la socque annamite à semelle de bois pour se déplacer sur le pont surchauffé. J¹avais, quant à moi, préféré acquérir des sandales à semelles de crêpe. A l¹usage, celles-ci ne me donnèrent pas satisfaction, le crêpe fondait au contact de la tôle brûlante.

 

Comme sur tous les bateaux en Indochine, le règlement autorisait à embarquer des indigènes pour occuper la fonction de boy. Nous en embauchâmes trois, un pour les officiers, un pour les officiers-mariniers et un pour l¹équipage. Ils étaient assimilés à l¹équipage, et étaient rémunérés par une retenue sur notre solde. Par exemple, notre boy, que par facilité nous appelions Jean ‹ son véritable nom était trop long et imprononçable ‹ pour un travail somme toute très peu contraignant : faire la vaisselle ‹ depuis l¹Amérique, nous avions de la vraie vaisselle ‹, porter et reprendre notre linge à la laverie chinoise, plus quelques menus travaux par-ci par-là, gagnait par mois onze cents piastres ‹ trente par homme d¹équipage ‹, ce qui lui assurait un salaire très confortable. Aussi, ces places de boy, à bord de nos navires, étaient-elles très recherchées.

Vers le vingt-cinq juin, nous appareillâmes pour notre première mission. Nous descendîmes la Rivière de Saïgon jusqu¹au Cap Saint-Jacques, cette fois-ci en vaquant à nos occupations mais avec toutefois, les armes prêtes à tirer en cas d¹attaque surprise. Nous doublâmes le Cap par bâbord, puis nous fîmes route au nord.

Notre secteur de patrouille se situait le long des côtes d¹Annam, dans la région comprise entre Nhatrang et Huê. Notre rôle : empêcher le ravitaillement des zones contrôlées par le Viet-Minh, y compris l¹exercice de la pêche.

Nous faisions d¹incessant va-et-vient le long de la côte, traquant les sampans et les jonques, les fouillant, interrogeant les occupants sur leur provenance et leur destination. Morvan, le ³bidelle³ qui avait déjà fait un premier séjour, possédait quelques mots d¹annamite. Il les interpellait d¹une voix forte.

 

‹ Di di maulen !

Une rafale de mitrailleuse à l¹arrière de l¹embarcation, les faisait rappliquer dare-dare.

Ceux qui nous présentaient une autorisation des autorités navales françaises, pouvaient repartir, se confondant en "laïe daïe " obséquieux. Pour les autres, nous regroupions les hommes sur un seul sampan ou dans ces drôles de petits paniers ronds en tiges de bambou tressées, les laissant regagner la terre, et nous coulions impitoyablement les autres sampans.

Nous avions bien remarqué que Guyon, notre ³Pacha³, répugnait à ce genre de procédé. Ce n¹était pas un guerrier et l¹on sentait qu¹il ne tarderait pas à demander sa mutation.

De temps en temps, nous faisions une courte escale technique, à Nhatrang ou à Tourane . Pour nous détendre de notre long séjour à la mer, le ³Pacha³ nous emmenait parfois, mouiller à quelques brasses de la petite île déserte de Hon-Mê. Là, nous passions une heure ou deux sur la plage de sable fin à jouer les estivants, oubliant notre fatigue et les dures réalités de notre quotidien.

Après cinquante-cinq jours de mission, nous retournions à Saïgon pour y retaper le bateau, soumis à rude épreuve, refaire les pleins de munitions et de ravitaillement et aussi, pour y prendre une détente bien méritée.

 

Lors d¹une des missions qui suivirent, nous abordâmes, un jour, une grande jonque chinoise remontant du sud. Elle était chargée à couler bas de pneus d¹auto usagés. Son équipage était composé d¹une dizaine d¹hommes dont l¹accoutrement faisait immanquablement penser à Sinbad le marin. Nous fouillâmes la jonque pour voir s¹il n¹y avait pas d¹armes. L¹un des Chinois, parlant en anglais, déclara qu¹ils faisaient route vers Haïnan, où le chargement était destiné. Quand on sait que les Viets utilisaient justement des pneus d¹auto pour faire des semelles de chaussures, nous n¹en crûmes pas un mot.

Nous avions fait monter les marins chinois à bord et nous nous apprêtions à passer une remorque sur la jonque quand celle-ci se mit à s¹enfoncer, elle prit rapidement de la gîte puis coula en quelques minutes. Un des Chinois avait dû ouvrir une brèche dans la coque, avant de monter à bord, afin de nous empêcher de saisir leur bateau. Nous fûmes tous fascinés par le spectacle de cette jonque, presqu¹aussi grande que le Trident, qui sombrait en faisant d¹ énormes remous.

Nous fouillâmes les chinois, ils portaient tous une ceinture en forme de boudin, remplie de taëls d¹or chinois. Le ³Pacha³ évalua la fortune à dix millions de francs .

Faisant route vers Tourane pour y remettre les chinois ainsi que le butin, aux autorités militaires, nous supputâmes avec quelque espoir, ce que dix pour cent de la somme ferait pour chacun d¹entre nous. Las ! je ne sais pas ce qui fut fait de la prise, mais nous ne reçûmes jamais une seule piastre.

 

 

A Saïgon, j¹en étais à ma troisième paire de sandales à semelles de crêpe. Je décidai dorénavant, de me chausser de mes chaussures montantes en cuir, mais pour ne pas m¹échauffer les pieds, de les enfiler sans les lacer.

C¹est ainsi, qu¹un soir, étant de faction à la coupée, il était plus de vingt heures et la tenue des factionnaires, stricte dans la journée, pouvait alors, se relâcher. J¹étais donc de garde, coiffé de mon ³chapeau parisien³ comme m¹avait dit un jour le ³Pacha³ ‹ chapeau de toile beige que m¹avait donné un ouvrier américain de Bremerton ‹, torse nu, juste un flottant de sport sur les fesses, le colt 45 pendu au ceinturon trop grand pour ma taille, m¹arrivant à mi-cuisse, mes pieds nus dans mes chaussures montantes sans lacets, j¹avais vraiment fière allure.

Le commandant qui était descendu à terre, rentra inopinément, la mine préoccupée. Lorsqu¹il franchit la coupée, je le saluai réglementairement ‹ si je puis dire, car avec mon chapeau non réglementaire, lui ‹, il passa près de moi, tête baissée, puis, lorsqu¹il arriva à ma hauteur, il s¹arrêta effaré, il fixa d¹abord mes pieds, puis son regard remonta vers le haut, découvrant mon flottant, le pistolet battant ma cuisse droite, mon torse nu et enfin mon chapeau posé à la façon de Charles Trenet. Il me toisa, incrédule, puis baissant les épaules, effondré, il me murmura

‹ Mais Daux vous avez l¹air d¹un clochard ?

Puis il disparut dans sa cabine.

Il ne me parla jamais de ce soir-là, sauf le jour de ³la Chambre³, jour qui arrive deux fois par an, où l¹on passe devant une commission composée des trois officiers, pour y être noté sur notre travail et notre discipline. Ce jour-là, me donnant mes deux notes, il me rappela que j¹étais un bon élément sur lequel il faisait toute confiance, par contre, je n¹avais pas une attitude très militaire.

 

Chaque semaine, Barbier l¹infirmier, nous faisait une distribution de cachets de quinine afin de lutter contre le paludisme.

C¹est au cours d¹un séjour à Saïgon, que l¹on nous fit faire nos fameuses performances de natation. Pour cela, nous nous rendîmes dans l¹une des superbes piscines de la ville. Quelques jours plus tard, je fus atteint d¹une otite double, contractée sans doute dans le bassin de natation. Barbier me soigna énergiquement, à base de cachets et de drains imbibés d¹alcool boriqué enfoncés dans les conduits auditifs.

 

Au mois de septembre, nous fûmes appelés à patrouiller plus au nord, Nous longions inlassablement les côtes du Tonkin, où mon frère Robert, à la suite de son deuil, avait demandé une nouvelle affectation. Lui se trouvait à Nam-Dinh au sud-ouest d¹Hanoï, dans un poste très exposé, le Viet-Minh étant beaucoup plus présent au Tonkin.

Notre plan de navigation prévoyait de patrouiller dans la baie d¹Along. Écolier, j¹en avais entendu parler comme l¹une des merveilles du monde. C¹est peu de le dire. Nous parcourûmes cette magnifique baie, allant d¹îlot en îlot, découvrant encore et encore plus de beautés. Et toutes ces merveilles étaient pour nous seuls.

Cette baie grouillante de vie avant la guerre, était maintenant déserte de toute embarcation, nous étions là pour y veiller. Pourtant, certaines îles, plus grandes, peuplées de macaques, recelaient une vie active et bruyante.

Nous fîmes un ravitaillement en eau, dans le port charbonnier de Hon-Gay, avant de reprendre la route du sud.

 

Au retour d¹une patrouille vers la mi-décembre, je fis avec les copains, la grande sortie traditionnelle de retour de mission. D¹abord le Corsica puis La Frégate, deux bars où nous avions l¹habitude d¹y prendre l¹apéritif. Pour moi, j¹avais décidé, afin de préserver ma santé, de ne boire que du lait-grenadine, parfois, les jours de ²grand vent³ un lait au rhum.

Ensuite restaurant, où immanquablement je choisissais de la langouste, toujours aussi généreusement servie, puis comme je ne suis pas un mangeur de viande, je finissais par une sole meunière ou une omelette aux pommes de terre. Après, nous allions au cinéma ‹ c¹est lors d¹une de ces séances, que je vis le film ³Casabianca² , j¹avais été coupé dans le montage du film. On ne voyait plus que ma main manoeuvrant le levier du grenadeur arrière.

 

Nous reprîmes la mer à la mi- janvier 1952. Nous avions maintenant, un nouveau commandant, le lieutenant de vaisseau Plichart. Nous avions craint, un instant, un resserrement de la discipline, mais non, ce qui importait au nouveau ³Pacha³, c¹était l¹efficacité, et lui, était là pour faire la guerre.

Je le vis bien, moi qui n¹arrêtais pas de faire le clown, me promenant toujours coiffé de mon ³chapeau parisien³. J¹avais fait le pari, avec les copains, que j¹entrerais dans le carré des officiers au moment du repas, tirant derrière moi, un bouchon lié à un bout (ficelle), à la manière de quelqu¹un promenant son chien. Pari tenu , exécuté et gagné. Le ³Pacha³, Cahuzac et Ollivier l¹aspirant remplaçant l¹enseigne de vaisseau Nourry, rirent de bon coeur en me voyant apparaître.

A bord, j¹avais une très grande liberté, on avait renoncé à me faire adopter une attitude plus respectueuse des préséances militaires. Le ³Pacha³ faisait preuve de beaucoup d¹indulgence à mon égard, me laissant à mes clowneries et mes extravagances, sans que jamais toutefois, je ne fasse dans la vulgarité. Ne m¹avait-il pas dit un jour :

‹ Daux ! vous n¹êtes pas très militaire, mais vous êtes le pilier du bord, vous maintenez la joie et la bonne humeur, grâce à vous, le moral de l¹équipage est au plus haut.

Quel plus beau compliment pouvais-je recevoir de mon commandant !

Il est vrai, en revanche, que j¹étais d¹une grande polyvalence. De la barre au radar, en passant par les armes légères (pistolets, mitraillettes, fusils, fusils-mitrailleurs, mitrailleuses 12,7) et les canons de 20 m/m Oerlikon et le 40 m/m Bofors, que j¹avais appris à utiliser, démonter et remonter, je pouvais remplacer n¹importe quel homme de pont

 

Le ³Pacha³ savait qu¹il pouvait compter sur moi en toute occasion, comme la fois où un sous-marin soviétique ayant été signalé dans les parages, il ordonna une veille par bordée, ce qui signifiait 12 heures de quart en continu sur 24.

Après avoir assuré 12 heures de veille au sonar, j¹avais ensuite, remplacé Fournier, épuisé, au radar durant les 12 heures suivantes, restant, compte tenu de la journée précédente, plus de 36 heures sans dormir. La chasse au sous-marin russe avait été un échec; ou nous étions nuls, ou les renseignements fournis par la marine anglaise étaient erronés.

En arrivant au mouillage de Nhatrang, Plichart avait ordonné que l¹on me laissât récupérer de mes fatigues et que je fusse dispensé de service jusqu¹au lendemain.

Après cet épisode, nous mîmes le cap sur le Tonkin. Pour la deuxième fois nous allions patrouiller dans la baie d¹Along.

Nous étions maintenant en février, la baie n¹avait pas l¹aspect aussi souriant que la dernière fois. Il faisait plus froid, nous relevâmes une température de vingt degrés C. qui nous parut glaciale, à nous qui venions du sud. Une brume épaisse recouvrait la baie, rendant la navigation dangereuse parmi les îlots fantomatiques. Après une courte escale à Mon Cay près de la frontière chinoise, nous reprîmes notre ronde dans le dédale de ce magnifique joyau qu¹est la baie d¹Along.

Quelques jours plus tard, nous remontâmes le Fleuve Rouge jusqu¹à Haïphong. Avec quelques copains, nous profitâmes de cette escale pour tirer une bordée en ville.

Chacun dans son vélo-pousse, nous encourageâmes nos coolies à pédaler plus vite, organisant ainsi, une course entre nous. Mon conducteur n¹allant pas assez vite à mon gré, je lui ordonnai d¹échanger nos places.

Mal m¹en a pris, ce n¹est pas si simple de faire avancer ces lourds engins et plus difficile encore, de les diriger avec leurs deux roues à l¹avant. Au bout du compte je perdis le contrôle du véhicule et m¹emplafonnai dans un arbre bordant l¹avenue, au grand dam du nha-qué qui me traita de tous les noms et voulut ameuter ses congénères. Je ne dus mon salut, qu¹au retour de mes copains, qui loin devant, firent demi-tour et me prêtèrent main forte.

Comme toujours pour des marins en bordée, nous finîmes la soirée dans un lieu cher aux navigateurs.

 

Nous rentrâmes à Saïgon, après être restés une soixantaine de jours à la mer. Nous avions tous besoin de repos, les hommes et le bateau.

Après un long séjour à la mer, beaucoup était à faire pour retaper le bateau. Chacun dans sa partie s¹attelait à sa tâche, mais pour certaines d¹entre-elles, nous avions besoin de personnel supplémentaire.

Chaque jour, à la porte de l¹Arsenal, deux ou trois cents gamins de dix-douze ans, se pressaient dans l¹espoir de trouver un petit travail leur permettant de gagner quelques piastres. J¹étais devenu, de par la grâce du ³Pacha³, le responsable, pour le Trident de l¹embauche de ces petits nhos . Chaque matin, je me rendais à la porte de la base et choisissais une quinzaine de gosses. Je les ramenais à bord où ils étaient répartis selon les besoins.

Pour ma part, j¹en prenais cinq ou six et je leur faisais faire de menus travaux, principalement là où il était difficile d¹accéder pour un adulte. Ces gamins n¹étaient pas maltraités, bien au contraire, ils savaient que vers dix heures, ils auraient un bon casse-croûte. D¹ailleurs si on oubliait l¹heure, ils venaient à moi, réclamer :

‹ Cep! Cep! donner ka coûte à moi cep!

Je leur donnais un bon morceau de pain , soit avec une barre de chocolat, soit de la confiture ou encore, de l¹excellent pâté de campagne, qui nous venait tout droit de Bretagne.

Lorsque fut connu le traitement réservé à nos petits coolies, le matin, devant la porte de l¹Arsenal, sous l'oeil ébahi des hommes du poste de garde, c¹était la grande bousculade pour savoir qui viendrait avec moi.

‹ Cep! cep!, moi venir avec toi, toi prendre moi, cep! moi connaître.

Je n¹avais droit qu¹à quinze nhos, mais parfois, devant leurs regards de détresse, je transgressais le règlement et en prenais deux ou trois de plus. Il fallait voir la joie des heureux élus, sur le chemin qui nous ramenait à bord.

Ces gosses étaient comme tous les gosses, ils aimaient jouer, je n¹avais pas vingt ans, j¹étais à peine plus âgé que les plus vieux d¹entre-eux, aussi, il m¹arrivait souvent de délaisser le travail pour faire, avec ces gamins ravis, une partie de cache-cache ou jouer aux osselets.

 

A bord du Trident, la nourriture était d¹une façon générale, excellente. Le commis, le quartier-maître Le Bloas, n¹était pas un ³carrièriste³. Une certaine somme lui était allouée pour la subsistance de chaque homme d¹équipage. Alors que la plupart de ses collègues se fournissaient en produits de basse qualité, comme par exemple du vin et des oeufs en poudre, des pommes de terre déshydratées, conserves à bas prix, ceci afin d¹économiser au maximum, gagnant des points d¹avancement pour bonne gestion, lui, ne prenait dans les Services d¹Approvisionnement de la marine, que des produits haut de gamme, creusant ainsi un déficit, comblé par les bénéfices réalisés par les autres commis. Évidemment son avancement s¹en trouvait compromis, mais nous avions la réputation d¹avoir la meilleure cuisine de la D.N.E.O.

 

Barbier, l¹infirmier, était aussi un sacré débrouillard. Il avait réussi à faire admettre à tour de rôle, tous les membres de l¹équipage au Centre de repos de Dalat, généralement réservé aux convalescents ou aux hommes affaiblis par la dureté du climat et le service à la mer intensif.

En ce début de mois de mars, ce fut à mon tour de bénéficier des bienfaits du repos dans cette station climatique, située à mille six cents mètres d¹altitude, dans la cordillère annamite, à environ trois cents kilomètres de Saïgon.

 

 

Le neuf mars au matin, en compagnie des quartiers-maîtres Dubois et Charpentier, nous prîmes l¹avion, un Catalina plus que vétuste, à l¹aéroport de Tan-Tson-Nut, pour Dalat. L¹avion, en fait un hydravion vibrait comme un batteur à oeuf, les hublots étaient colmatés par des plaques de contre-plaqué, les deux moteurs semblaient se donner la réplique, en toussotant à tour de rôle, même le plancher était disjoint, laissant apparaître entre les interstices, l¹épaisse forêt dense et touffue, que nous survolions quelques mètres plus haut .

Nous étions les seuls passagers de cet avion, en fait, il avait dû être requis pour nos ³importantes personnes³. Le voyage dura environ une heure puis nous atterrîmes à l¹aéroport de Dalat, soulagés d¹être rendus sains et saufs, mais inquiets en ce que présageait le voyage de retour. Là, une jeep nous attendait, qui nous mena rondement sur les quinze kilomètres de piste conduisant à la station. Je me souviens d¹entrer dans un Dalat ressemblant à une petite ville de province, un dimanche à la sortie de la messe. Des hauts-parleurs disséminés sur le bord de l¹avenue, diffusaient une chanson de Tino Rossi, La lanterne de San Paoli, donnant un air de fête à notre arrivée.

Le Centre de Repos de la marine était retiré un peu à l¹écart, juste en face de ce nous appelions: ³le Couvent des Oiseaux², institution pour jeunes filles de hauts-fonctionnaires ou de militaires de haut rang.

Le Camp était presque désert, seuls deux officiers-mariniers et deux quartiers-maîtres de l¹aéronavale, occupaient les lieux. Nous sympathisâmes aussitôt et fîmes groupe avec eux.

 

Lors du premier repas, j¹eus la surprise de retrouver René Bon, un cuistot qui avait ³sévi³ à Saint-Mandrier. Maintenant qu¹il officiait à Dalat, je pus constater qu¹il était un fin cuisinier et qu¹il savait faire autre chose que des pieds de mouton poilus.

Dès la première nuit, dans une chambre sans fermeture à cause de la chaleur, nous nous étonnâmes de n¹être point gardés. Il nous fut répondu que les centres de repos des différentes armes étaient regroupés dans la ville, et qu¹il existait une sorte de modus vivendi avec les Viets, excluant toutes actions dans le secteur, la réciprocité étant de mise.

Nos journées étaient vraiment consacrées à la détente. Il n¹y avait pratiquement pas d¹heure pour se lever, Nous prenions notre petit-déjeuner quand bon nous semblait. Puis après notre toilette, nous faisions de longues parties de volley-ball. L¹après-midi, sieste jusqu¹à trois heures trois heures et demie, puis promenade dans la campagne environnante qui n¹était pas sans rappeler la campagne française. Le soir, généralement, nous allions dans la ville, dîner dans un restaurant tenu par une vietnamienne mariée à un militaire français, puis spectacle, concert ou cinéma. La vie rêvée.

Nous organisâmes un pique-nique avec les quatre camarades de l¹aéro. Nous nous installâmes près d¹un petit lac traversé par un rach . Alors que nous avions beaucoup de difficultés pour allumer notre feu, nous fûmes rejoints par une maquerelle accompagnant ses enfants de Marie à la promenade. Celles-ci se joignirent à nous, riant de notre maladresse, elles nous allumèrent le feu, nous firent cuire le repas qu¹elles partagèrent avec nous. Nous nous conduisîmes avec ces charmantes demoiselles, avec la plus extrême courtoisie, ce dont elles nous remercièrent avec beaucoup de grâce.

Nous continuâmes notre promenade dans une zone interdite, mais nous savions que quelque part, se trouvait le tombeau ‹ un monument d¹une grande beauté ‹ de l¹Impératrice d¹Annam. Nous ne fûmes pas déçus d¹avoir enfreint l¹interdiction au risque de se faire attaquer par les Viets.

En revenant, nous rencontrâmes une paillotte d¹où sortait une fumée épaisse. Nous nous approchâmes et nous vîmes une équipe d¹artisans annamites, avec des moyens vraiment primitifs, en train de couler un énorme Bouddha en bronze. Nous restâmes longtemps à admirer la virtuosité de ces petits hommes jaunes, travailler le métal en fusion avec si peu de moyens .

 

Pendant notre séjour, l¹on nous organisa une excursion avec recommandation exprès, ne pas être armés. Nous allions traverser une zone tenue par les Viets et nous serions sans aucun doute observés à la loupe, et avoir une arme aurait été considéré comme un acte belliqueux .

Nous partîmes un beau matin, dans un 6 X 6 , en direction de Djiring, au sud. Nous nous arrêtâmes d¹abord, pour admirer les superbes chutes Pangour qui, bien que loin de rivaliser avec les chutes du Niagara, n¹en n¹étaient pas moins impressionnantes. Puis, nous fîmes une halte dans une plantation de caféiers, exploitée par un Français qui ressemblait à un personnage des films de Tarzan. Ce dernier nous demanda d¹être prudent, la veille, il était allé à la chasse au tigre, en avait touché un, qui rôdait dans les parages, rendu plus dangereux à cause de sa blessure. Il nous proposa de traquer l¹animal avec lui, mais notre but était autre, aussi, nous déclinâmes l¹invitation. Nous reprîmes notre route, arrivant bientôt au terme de notre excursion, un petit village près de Djiring.

Nous allâmes d¹abord saluer les Soeurs de l¹ordre de Saint-Vincent-de-Paul, qui dans leur communauté, recueillaient et élevaient des petits orphelins où simplement des tout jeunes bébés enlevés dès leur naissance, à leurs parents lépreux.

La Mère Supérieure, une maîtresse femme, fut toute heureuse de notre venue, n¹ayant pas souvent l¹occasion de rencontrer des compatriotes. Elle nous conseilla de visiter le village où d¹autres Soeurs soignaient les lépreux, puis elle insista pour nous retenir à déjeuner le midi.

Quelques kilomètres plus loin, nous arrivâmes au village de paillottes, où vivaient ou plutôt attendaient la mort, deux ou trois cents personnes, hommes et femmes, dont certains n¹avaient même plus d¹apparence humaine.

Les copains descendirent du Dodge et suivirent les Soeurs, admirables d¹abnégation, qui leur expliquèrent comment elles arrivaient à soigner et parfois à sauver certains de ces malheureux, lorsque la maladie était décelée à temps. Pendant ce temps, j¹étais resté à l¹arrière du camion, écoeuré par cet affreux spectacle.

Un groupe de lépreux défigurés, aux membres difformes, s¹approcha de moi, l¹un d¹eux grimaçant une espèce de sourire, me tendit une main dont les doigt manquants laissaient place à des moignons sanguinolents. Je pris peur, ne voulant surtout pas qu¹il me touche, je sautai à bas du 6 X 6 et courus me réfugier auprès du groupe de copains en train d¹assister au bandage d¹une jambe dont le pied avait fait place à une plaie hideuse.

Je fus soulagé lorsque nous reprîmes le chemin de l¹orphelinat, mais j¹eus beaucoup de peine à faire honneur au pourtant délicieux repas, que nous offrit si généreusement la Mère Supérieure.

 

En partant, les quatre de l¹aéronavale et nous trois du Trident, nous laissâmes plusieurs centaines de piastres, don bien modeste, en regard des besoins immenses que nécessitaient et l¹orphelinat et la léproserie.

 

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtâmes dans un village Moï, ces montagnards du centre Annam, ennemis héréditaires des Annamites. Nous fûmes accueillis par une ribambelle de nhos joyeux et bavards. Au départ de Dalat, on nous avait prévenus, aussi avions-nous emporté quelques friandises qui, distribuées à la volée, eurent l¹effet de faire s¹épanouir de larges sourires.

Une jeune femme était en train de piler du paddy dans un mortier fait d¹un tronc d¹arbre creux, à l¹aide d¹un pilon taillé dans un gros bambou. Je voulus essayer de faire comme elle, je ne réussis qu¹à m¹attirer les gloussements moqueurs de ses compagnes.

Le chef du village nous invita dans sa paillotte bâtie sur pilotis. A l¹intérieur, nous appréciâmes la relative fraîcheur, alors que dehors la chaleur était étouffante. Le chef nous fit asseoir en cercle, à la manière indochinoise, sur les talons, autour d¹une grande jarre.

Il prit un long bambou creux puis, s¹en servant comme d¹un chalumeau, le plongea dans le récipient et but une longue gorgée. Ensuite, il donna la tige à son voisin qui but à son tour. Nous bûmes tous, l¹un après l¹autre, une espèce de liquide douceâtre, légèrement alcoolisé, au goût indéterminé, mais relativement frais.

Le chef nous parla ensuite de son village, de ses craintes de voir les Français partir, puis il nous souhaita beaucoup de bonheur.

La journée était bien avancée lorsque nous reprîmes la route. Nous traversâmes le Dong Naï sur un pont métallique, puis nous fîmes une dernière halte pour aller saluer le sous-officier, qui avec l¹aide de cinq ou six supplétifs vietnamiens, tenait le poste fortifié flanquant le pont sur la rive droite de la rivière.

 

Le samedi suivant, notre semaine de repos arriva à son terme. Alors que nous nous apprêtions à regagner Saïgon par convoi routier, on nous fit savoir que la route était coupée entre Dalat et Saïgon, les Viets occupant le terrain. Comme il n¹y avait pas non plus d¹avion disponible, nous étions coincés à Dalat jusqu¹à nouvel ordre. Comme nous nous sentions très bien en repos, nous continuâmes à profiter des bienfaits de la station.

Nous restâmes ainsi, une semaine complète supplémentaire. Pourtant à la fin de la deuxième semaine, un câble radio de Plichart, nous demanda instamment de regagner le Trident, par n¹importe quel moyen.

Toute la journée du samedi se passa, pour le commandant du centre, à contacter tous les services susceptibles de nous venir en aide. Finalement, la solution vint de l¹État-Major du Général Chassin, le commandant en chef de l¹Armée de l¹Air en Indochine.

Le Général Chassin accompagné de son État-Major, de sa famille et de sa domesticité, repartait le dimanche à Saïgon, et il consentait à nous prendre à bord de son DC3 personnel.

A neuf heures, le dimanche, nous étions tous trois, Dubois, Charpentier et moi, sur le terrain d¹aviation. Nous attendîmes que le Général et sa suite fussent montés dans le Dakota pour nous présenter à l¹embarquement. On nous attribua à chacun un siège, à l¹arrière de l¹appareil.

Nous décollâmes à dix heures. Le Dakota était luxueusement aménagé, cela nous changea du Catalina à bout de souffle qui nous avait amenés à Dalat.

Peu après nous atterrîmes à Tan-Tson-Nut, d¹où une jeep nous raccompagna jusqu¹à la porte de l¹Arsenal.

 

Le mardi matin, nous descendîmes la Rivière de Saïgon jusqu¹au Cap Saint-Jacques, puis, en compagnie du Phnom Penh, nous mîmes le cap sur Singapour.

Notre venue à Singapour avait pour but, de nous entraîner, l¹écouteur du Phnom Penh et moi, au simulateur Asdic de la base anglaise. Cahuzac, l¹officier en second, nous accompagnait pour nous servir d¹interprètre. Quant aux exercices par eux-mêmes, nous n¹étions pas dépaysés car nous aussi, nous employions la procédure anglaise.

Le vingt-sept, le copain du Phnom Penh et moi, sortîmes ensemble dans la ville de Singapour. Des mouvements indépendantistes commençaient à faire parler d¹eux, commettant des attentats contre les occidentaux, aussi, les autorités anglaises nous avaient-elles donné un plan succinct de la ville, indiquant les zones interdites ou à éviter.

Bien sûr, ce qui est interdit, est toujours plus attirant, le copain et moi, nous nous retrouvâmes bientôt dans un quartier indigène, aux maisons de bambou. Soudain, la rue devant nous, fut barrée par un groupe de malais aux mines menaçantes, armés de bâtons. Nous voulûmes faire demi-tour, mais notre retraite était coupée par un autre groupe.

Nous commencions à nous affoler, lorsque deux jeunes malaises s¹approchèrent et nous firent comprendre de les suivre. Inquiets nous refusâmes, mais elles insistèrent, nous expliquant que si nous les suivions, rien ne nous serait fait.

Nous pénétrâmes à leur suite, dans une des cagnas. Là, nous dûmes nous exécuter, sur une natte en paille de riz, dans deux pièces séparées par une cloison en papier journal, éclairées par une bougie posée à même le sol de terre battue. Nous réglâmes la prestation, en monnaie du pays, puis les filles nous raccompagnèrent jusqu¹au bout de la rue, demandant aux hommes toujours menaçant de nous laisser partir.

Si rien ne m¹est resté de cette mésaventure, mon copain, par contre, eut droit aux piqûres de streptomycine et à une semaine sans alcool.

 

Le premier avril 1952, nous appareillâmes pour rejoindre nos lieux de patrouille le long des côtes d¹Annam.

J¹avais mon poste de combat comme pointeur-tireur au canon de 40 m/m. Je n¹avais jamais eu d¹entraînement au tir. Le ³Pacha³ voulut combler cette lacune. Profitant que nous avions un lot de sampans à détruire, il fit appeler au poste de combat. Nous nous installâmes sur nos sièges de tir, Petit, le pointeur directionnel à droite et moi à gauche. Claude le vieux quartier-maître chef canonnier, coiffé de son casque de chef de pièce nous transmettant les ordres venant de la passerelle. Lorsque nous fûmes prêts, je reçus l¹autorisation de tir. Je visai le sampan le plus proche, appuyai sur la pédale de tir. Je déclenchai un tir continu, envoyant une trentaine d¹obus en une seule rafale, le gars alimentant le magasin ne put suivre la cadence, le tir s¹arrêta faute de munitions. Claude furieux, me cria :

‹ T¹es fou dans ta tête ! Jamais on tire comme ça, le tube est tellement brûlant qu¹il risque de se déformer

Je lui répliquai que personne ne m¹avait expliqué ce que j¹avais à faire. Ce qui ressortit de tout cela, c¹est que le sampan était toujours là et qu¹il dût être coulé à coups de hache.

Par la suite, je procédais au tir, toujours par courtes rafales de quatre ou cinq obus, mais la précision était toujours aléatoire. Sur ce type de bâtiment, même une mer d¹huile occasionne toujours un léger roulis rendant difficile un tir précis, à courte distance.

 

Une opération fut montée entre la marine, représentée par les patrouilleurs Trident et Phnom-Penh, et un bataillon de légionnaires, pour tenter de découvrir et de détruire un dépôt d¹armes, que nous avait signalé le 2ème bureau, dans la région côtière, au sud de Nhatrang.

Depuis longtemps, j¹avais demandé au ³Pacha³ de faire partie de la compagnie de débarquement ‹ celle du bord, compte tenu du nombre réduit de l¹équipage, ne comprenait que douze hommes ‹. A chaque fois, Plichart m¹avait opposé une fin de non recevoir, arguant que j¹étais trop jeune, qu¹il ne voulait pas avoir ma mort sur la conscience et toutes sortes d¹arguments de ce genre. Excédé, j¹avais été jusqu¹à demander ma mutation sur les LCM , ces chalands de débarquement, transformés, blindés et sur-armés, qui sillonnaient sous le commandement, parfois de quartiers-maîtres, les rachs et les arroyos. La réaction du ³Pacha³ avait été encore plus négative. Trop dangereux.

Nous embarquâmes les légionnaires à Nhatrang, qui se répartirent sur les deux bâtiments. Arrivés sur le lieu de l¹opération, nous mîmes les barges de débarquement à la mer, les légionnaires montèrent dedans avec les douze copains que je regardai partir avec envie. En compensation, Plichart m¹autorisa à arroser la plage à la 12,7.

L¹opération dura toute la journée, mais les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances. Pour quelques armes récupérées, trois légionnaires furent blessés, dont un au ventre.

 

Lors de nos séjours à Saïgon, notre bâtiment se devait de fournir, au moins une fois à chaque passage, deux hommes pour la formation d¹une patrouille de ville. Une fois pour toute, l¹équipe fut composée de Glomeau, grand costaud pouvant peser dans les soixante dix huit kilos, et de moi, un mètre soixante douze et cinquante et un kilos. On nous appelait Laurel et Hardy. De fait, guêtrés de blanc, mitraillette Thompson, bretelle à l¹épaule, trois chargeurs à la ceinture, si ce n¹avait été notre bachis à pompon rouge, on aurait pu nous prendre pour les deux comiques chez les légionnaires.

Nous retrouvions l¹officier subalterne commandant le détachement et les quatre autres membres venant de diverses unités, à la porte de l¹Arsenal. Puis nous parcourions la ville, installés dans un 4 X 4.

A partir de vingt heures, à l¹entrée du cinéma Majestic, rue Catinat, nous procédions à la fouille systématique des spectateurs, quels qu¹ils fussent ‹ le plaisir, que nous éprouvions alors, de palper sur tout le corps, ces Françaises arrogantes qui ne fréquentaient que le gratin et n¹avaient que des regards méprisants à notre égard ‹.

Nous restions au Majestic jusqu¹à l¹entre-acte, puis après avoir patrouillé dans le quartier chinois de Cholon, nous poussions notre surveillance jusqu¹au terrain d¹aviation de Tan-Tson-Nut.

Après quoi, nous nous assurions du respect des heures de fermeture des lieux de plaisir.

Notre randonnée se terminait invariablement au²Parc à Autruches ³, où nous vérifiions que tous les militaires, de quelqu¹ arme qu¹ils fussent, aient vidé les lieux, avant la fin de leur permission de sortie. Nous avions alors le champ libre, pour nous amuser un court instant, avec les filles que nous connaissions bien, pour la plupart.

Je me souviens d¹une fois, où nous avions demandé à quelques-unes d¹entre-elles, de s¹occuper plus particulièrement du jeune aspirant, tout frais débarqué de France, qui commandait ce jour-là, la patrouille. Les filles l¹entraînèrent de force, dans l¹une des cagnas, et firent tant et si bien, qu¹il ressortit rouge de honte et de confusion sous nos regards narquois. Finalement, le jeune aspi prit le parti de rire de sa mésaventure.

 

Nous étions en mai, après quelques jours passés à Saïgon, nous regagnâmes notre champ d¹action. Nous naviguions dans le secteur de Tourane, lorsqu¹un avis de typhon, nous alerta. Prudent le ³Pacha³ nous fit faire route sur Tourane où la rade, enchâssée entre les montagnes, offrait un abri sûr.

 

Dans le courant du mois de juin, nous fîmes une série d¹opérations terrestres, destinées à découvrir et détruire, des dépôts de munitions et de ravitaillement, destinés à une division Viêt se déplaçant vers le sud.

A Nhatrang, nous embarquâmes une soixantaine de supplétifs vietnamiens, commandés par un sergent des commandos.

Depuis peu, j¹étais arrivé à mes fins; le ³Pacha³ avait cédé, je faisais dorénavant, partie de la compagnie de débarquement.

Notre secteur d¹opérations se situait dans la région comprise entre Qui-Nhon et Quang-Ngaï. Nous nous rendîmes de nuit, tous feux éteints, sur le lieu de notre premier débarquement.

A quatre heures du matin, nous mouillâmes à deux encablures de la côte. Le commandant fit réveiller l¹équipage et appela au poste de combat. Le Bloas nous servit, aux douze hommes de la compagnie de débarquement, un déjeuner copieux fait de café, de pain, de sardines à l¹ huile, de pâté de campagne. Les supplétifs qui avaient dormi sur le pont, entamèrent leur ration de riz et burent du café, distribué en grande quantité. Vers cinq heures trente, armés jusqu¹aux dents, coiffés d¹un casque lourd américain nous prîmes place dans les barges de débarquement et nous dirigeâmes vers la côte qui se dessinait dans la nuit finissante.

Étant le seul à avoir comme armement, un fusil M.A.S. 36, équipé pour tirer des grenades VB. à ailettes, le sergent vêtu d¹un ké-kouan noir, m¹avait demandé de le suivre comme son ombre afin d¹être à même de tirer sur les objectifs qu¹il pourrait me désigner. De plus je portais un pistolet Véry, lanceur de fusées, pour le cas où nous aurions besoin de signaler notre position.

Je m¹étais installé à l¹avant de notre barge, le fusil en position d¹envoyer une VB, Glomeau et son FM, à côté de moi.

Les canonniers du Trident tirèrent une bordée de 76 m/m par-dessus nos têtes et cessèrent le tir dès que nous abordâmes la plage. Je sautai à l¹eau le premier, croyant n¹en avoir que jusqu¹aux chevilles, je m¹étais trop précipité et m¹enfonçai jusqu¹aux épaules. Je gagnai le sol, alourdi par ce bain forcé, et me mis à courir avec les autres.

Malheureusement, nous avions une énorme dune à gravir, et mes vêtements mouillés, mes chaussures en cuir, pleines d¹eau, le poids des cent cinquante cartouches, des dix grenades VB, du pistolet, de mon fusil, firent de la montée de la dune, un véritable calvaire.

A la fin je m'aidai de mon fusil comme d¹une canne. Lorsqu¹enfin, j¹arrivai au sommet j¹étais à bout de souffle, je me mis à rendre ces fichues sardines qui me tourmentaient l¹estomac. C¹est à ce moment-là que le sergent me plaqua au sol.

‹ Reste pas debout ! me cria-t-il. puis il ajouta

‹ T¹entends pas qu¹on nous allume !

J¹avais les oreilles qui bourdonnaient encore, aussi n¹entendis-je pas les coups de feu tirés contre nous. Je regardai mon M.A.S. 36, il était plein de sable, je n¹eus pas d¹autre solution que de démonter la culasse, et de procéder a un nettoyage succinct à l¹aide de mon mouchoir trempé d¹eau de mer. Cet intermède me permit de reprendre mes esprits.

Une fois le calme revenu, le sergent donna l¹ordre de reprendre notre progression. Nous crapahutions le long de la crête, lorsque André, qui marchait derrière moi, vit se dresser une silhouette derrière un buisson. Pris de panique, il épaula son M.A.S 44 et tira trois cartouches pratiquement à bout portant, avant de constater qu¹il visait une jeune fille figée par la terreur et les yeux agrandis d¹effroi. Par bonheur, la jeune Annamite n¹eut pas une égratignure. André, dans sa précipitation, avait fort heureusement raté sa cible. Le sergent qui parlait annamite, réconforta la pauvre fille dans sa langue.

Puis, nous arrivâmes dans un petit groupe de paillottes, désertées par ses habitants qui s¹étaient enfuis à notre approche. Une forte odeur de poissons pourris nous accueillit. Sur des claies de bambous, des poissons séchaient au soleil, exsudant un jus noir et puant qui s¹écoulait dans d¹énormes jarres déjà presque pleines. Ce jus était du nuoc-mâm, base avec le riz, de l¹alimentation des populations locales. Le sergent ordonna aux supplétifs, de détruire les jarres et les séchoirs de bambou, ce qui fut fait avec un plaisir évident, par les Vietnamiens surexcités.

Nous nous enfonçâmes, ensuite, à l¹intérieur des terres, dans la forêt qui devenait de plus en plus épaisse à mesure que l¹on avançait. Au bout de deux heures environs, nous débouchâmes dans une clairière occupée par un gros village de paillottes.

Le village était désert, seule, une vieille femme s¹avança vers nous, faisant force courbettes et tenant dans ses mains, un papier qu¹elle nous tendit. C¹était un tract, qu¹un avion nous ayant précédé, avait lâché sur le village, invitant les habitants à rester sur place et à collaborer dans notre recherche d¹armes et de munitions.

Le sergent ordonna la fouille systématique de toutes les maisons, se fit montrer par la vieille, celle qu¹elle habitait afin de l¹épargner, puis il ordonna de mettre le feu à toutes les autres, pour la plus grande joie des supplétifs. Les ordres supérieurs stipulaient, que tous villages désertés à l¹approche des Français, seraient considérés comme ennemis, et détruits.

Nous nous rassemblâmes à l¹orée du village qui brûlait derrière nous, puis, l¹ordre fut donné de poursuivre notre chemin. La colonne se mit en marche, quand le sergent me dit :

‹ Attends-moi, j¹ai envie de ch…

Puis il baissa le pantalon de son ké-kouan et s¹accroupit. J¹avais autant envie que lui, je m¹accroupis à ses côtés.

A cet instant, la grosse paillotte du chef du village, qui continuait de brûler juste de l¹autre côté de la haie, se volatilisa sous l¹effet d¹une explosion énorme. Des débris et des éclats nous passèrent juste au-dessus de la tête, le souffle nous projeta en avant.

Le sergent me regarda et me dit :

‹ On a eu chaud, si on s¹était trouvé debout, on était bons.

Il était vrai, que nous devions la vie, à un besoin bien naturel. En attendant, la paillotte qui servait de cache d¹armes et de munitions était détruite, nous n¹étions pas venus pour rien.

Nous courûmes pour rejoindre les autres qui avaient pris de l¹avance. Maintenant, nous avancions dans une rizière, les pieds dans l¹eau, ce qui ne m¹arrangeait pas, avec mes chaussures en cuir. Les autres étaient chaussés de Pataugas, mais je n¹avais pu en trouver une paire de pointure 40 pour moi.

Un supplétif signala au sergent, des bruits suspects venant d¹un bosquet. Le sergent me fit tirer une VB dans la direction indiquée. La grenade tourna sur ses ailettes décrivit une belle courbe et retomba cent mètres plus loin. Trop court, la distance évaluée sur l¹eau est toujours trompeuse. Il fit mettre les FM en batterie qui déclenchèrent un tir nourri, mais rien ne se passa; aussi, nous continuâmes notre progression.

Depuis plusieurs minutes, nous entendions au loin, des tam-tams qui se communiquaient entre eux. Soudain, l¹un, beaucoup plus proche se fit entendre.

Glomeau, toujours blagueur , se mit à fredonner :

‹ Dans la brooouuussse

Auquel, répliqua Durieu :

‹ Les vaches ! y z¹ont buté Gégène.

Le sergent évalua les risques, si les partisans et peut-être des éléments de la division Viet-Minh, se regroupaient pour nous attaquer, nous ne ferions pas le poids. Il décida donc de rebrousser chemin pour rejoindre la côte. De toute façon, il commençait à se faire tard et le bilan de la journée n¹était pas trop mauvais.

Ollivier, l¹enseigne de vaisseau, obéissait comme nous tous, au sergent. Depuis le village incendié, il portait une théière dans laquelle il avait mis un oiseau blessé, probablement par un éclat de grenade.

Lorsque nous arrivâmes à la côte, l¹oiseau était mort. Ollivier l¹enterra dans le sable avec la théière.

Les jours suivants, d¹autres opérations ponctuelles du même type se déroulèrent, chaque fois dans un secteur différent. Nous avions obtenu l¹accord du Pacha pour troquer nos casques contre des chapeaux de brousse, ce qui nous allégeait un peu.

Au cours de l¹une d¹elle, André brisa la crosse de son M.A.S. 44 en voulant décrocher une noix de coco. Nous avions tellement soif et nos bidons étaient vides depuis longtemps.

Dans un village, il nous arriva même, de bousculer une femme qui se lavait dans une jarre, pour en boire l¹eau sale, dans laquelle grouillaient de grosses larves gluantes.

Ce même jour, Bourgmeyer se blessa à la cuisse en tombant sur un gros caillou pointu et il dût être remplacé par Dubois. Ce dernier, n¹en menait pas large, il était pourtant fort en gueule, lorsqu¹il était à bord, mais là, sur le terrain il avait une tendance à serrer les fesses.

Le résultat de cette journée fut assez décevant, nous fîmes quand même un prisonnier, un éclaireur de cette fameuse division viêt dont on parlait depuis quelques temps.

C¹est ce jour-là aussi, qu¹eut lieu un véritable miracle. Nous crapahutions sur une sente qui serpentait au flanc d¹une colline, Morvan en tête, moi venant derrière, suivi de Dubois et des autres lorsque nous vîmes en contrebas, un chapeau en paille conique posé sur un buisson.

Morvan tira une rafale de Thompson sur le chapeau, histoire de faire un carton, ce qui déclencha une fusillade générale, tout le monde tira sur le buisson, les supplétifs également. A la fin le tir cessa, le chapeau, lui, n¹était percé que de trois balles. Drieu descendit pour le prendre quand il se trouva nez à nez avec une famille entière de nha-qués. Il y avait le père, la mère et quatre nhos de six à seize ans, tous terrorisés mais indemnes. Pas un n¹avait été atteint par un projectile. Le sergent les engueulas en annamite, leur reprochant de ne pas s¹être montrés, qu¹on était pas venu pour tuer les paysans.

Une fois à bord, le ³Pacha³ fit mettre le prisonnier sous bonne garde, en attendant de le remettre au 2ème Bureau, dès la fin de nos coups de mains.

 

La dernière opération avec le sergent et ses supplétifs, nous conduisit à une vingtaine de kilomètres à l¹intérieur des terres.

Comme tous les matins, nous avions embarqué dans les six barges. Nous n¹attendions plus qu¹Ollivier pour partir. Celui-ci, parcourait le pont dans tous les sens, cherchant visiblement quelque chose. Plichart, que ce manège énervait, lui demanda :

‹ Que cherchez-vous Ollivier ?

‹ Mon revolver ! commandant, je ne sais pas où il est ?

Et le ³Pacha³ pince-sans-rire, de lui rétorquer, faisant un grand geste à la manière des tragédiens.

‹ Ça n¹fait rien, Ollivier, partez au sacrifice!

La journée commença par une hilarité générale.

Sous la protection du 76 m/m du Trident, nous prîmes pied sur la plage au jour naissant. J¹avais affiné ma technique, maintenant j¹attendais le moment où la barge touchait le sol pour sauter à terre. L¹inconvénient qui me restait du premier jour, était que mes chaussures sous l¹effet de l¹eau de mer et du soleil, s¹étaient racornies et me gênaient pour marcher.

Nous commençâmes à gravir une haute colline qui s¹avançait dans la mer, par un chemin étroit, semé d¹embûches et de pièges.

Parfois c¹était un trou profond de soixante centimètres, le fond garni d¹une pointe de fer ou de bambou très acérée, destinée à percer le pied de qui aurait le malheur de tomber dedans, ou bien une mine artisanale reliée à un fil tendu en travers du sentier. Bien que notre progression en fût très ralentie, nous arrivâmes sans casse de l¹autre côté de la colline, où une ancienne route coloniale s¹ouvrait devant nous.

Nous étions hors de vue du Trident caché par le coteau. A droite, une grande anse s¹étalait, offrant une plage de sable fin, bordée de palmiers. De l¹autre côté de la baie, nous vîmes une petite troupe fort animée. Le sergent fit mettre tout le monde en position de tir, et ordonna le feu. Nos tirs se perdirent dans l¹eau, les hommes que nous voyions s¹agiter au loin, étaient hors de portée de nos armes.

Nous suivîmes la route pendant plusieurs heures pour arriver dans un grand village déserté par ses habitants, nous nous égaillâmes dans les rues et les ruelles, fouillant systématiquement toute les maisons. Quelques armes furent trouvées, et les paillottes où elles avaient été découvertes, brûlées.

Je m¹étais avancé jusqu¹à l¹orée du village, lorsque je vis à quelques deux cents mètres, sur ma droite, cinq ou six hommes venir vers moi en rampant. Je fis feu dans leur direction à plusieurs reprises. Les Viets se relevèrent aussitôt et filèrent se réfugier derrière une butte de terre. Je reçus bientôt le renfort de Grellier, qui me demanda sur qui je tirais. Je lui indiquai la butte lui dis qu¹il y avait des Viets cachés derrière. Il me fit remarquer qu¹il serait plus prudent de rejoindre les autres, que l¹on s¹était trop écarté du reste de la troupe.

A ce moment, j¹avisai deux canards près d¹une paillotte, de dépit, j¹en visai un et tirai. Le canard s¹enfuit, je crus ne pas l¹avoir touché, mais Grellier qui le suivit, le vit tomber soudain, et après quelques spasmes, rester immobile. Grellier le ramassa et me cria :

‹ Tu l¹as eu juste au milieu du cou !

De fait, la balle avait traversé le cou du canard en plein centre, laissant un joli trou bien rond. Avant ce pauvre canard, je n¹avais jamais tué un animal, il fut le dernier.

Nous nous rassemblâmes sur la place du village. Je signalai au sergent que j¹avais vu des hommes à courte distance. Je croyais qu¹il allait donner l¹ordre de les traquer, mais il nous dit que nous devions être observés, et que l¹ennemi savait maintenant que nous n¹étions qu¹un petit nombre.

A cet instant, Bourgmeyer qui avait réintégré la compagnie, cria à Ollivier de ne plus bouger. Ce dernier avait les pieds à moins de dix centimètres d¹un engin piégé. Cela ressemblait à un gros ballon de rugby, quadrillé comme une grenade. Tout le monde s¹écarta, quelqu¹un demanda s¹il fallait le faire exploser en tirant dedans, mais le sergent s¹y opposa, disant qu¹il était possible que l¹engin soit relié à d¹autres, qui exploseraient en chaîne et pourraient nous atteindre.

Nous revînmes par le même chemin qu¹au départ, inspectant chaque butte, chaque buisson, de crainte de tomber dans une embuscade.

Le cuistot accommoda le canard pour les douze de la compagnie, mais je ne voulus point en manger.

Nous fîmes route sur Nhatrang, où le sergent et ses supplétifs nous quittèrent. Les gens du 2ème Bureau étaient à quai pour prendre livraison du prisonnier.

Après cette dizaine d¹opérations terrestres quotidiennes, nous reprîmes nos patrouilles le long des côtes, arraisonnant, coulant ou confisquant jonques et sampans.

 

Sur indication des Services de Renseignements, nous montâmes une opération sur une petite île au large de Qui-Nhon. Cette fois-ci, nous n¹étions que les douze hommes de la compagnie de débarquement du bord. Une seule barge suffit à nous amener aux abords de l¹île.

Celle-ci était entourée de coraux affleurant la surface de l¹eau, ce qui nous obligea à marcher avec de l¹eau jusqu¹aux genoux, sur une cinquantaine de mètres. Nous abordâmes sur une petite langue de galets, au pied d¹une falaise abrupte, haute de dix mètres environ.

Morvan attaqua le premier l¹ascension, suivi de Bourgmeyer, Glomeau, André, Grellier, et moi. Je serrai les dents, évitant de regarder vers le bas, essayant à tout prix de vaincre le vertige. A mi-hauteur, je fus bloqué, le poids excessif de mes grenades sur mon dos, mon fusil qui me gênait, et la falaise ne m¹offrant plus aucune prise, j¹appelais à l¹aide. Morvan et Glomeau qui étaient arrivés au sommet, redescendirent pour me donner la main. Finalement j¹arrivai au bout de mes peines, fier d¹avoir vaincu mon vertige. Le reste de l¹équipe, Ollivier en tête, avait renoncé à l¹escalade et nous regardait d¹en bas, nous prenant pour des fous suicidaires.

Malgré notre compagnie réduite de moitié, nous décidâmes de continuer, notre progression parmi les rochers d¹origine volcanique. Au bout d¹une demi-heure, nous arrivâmes de l¹autre côté de l¹îlot, une grande faille s¹ouvrait devant nous, des Viets, surpris, s¹engouffrèrent dans une grotte. Morvan, André, Bourgmeyer et Grellier les poursuivirent, pénétrèrent dans la grotte et ouvrirent le feu, tuant trois hommes.

Pendant ce temps, je guettais en haut des rochers, scrutant les environs, pour couvrir mes compagnons. C¹est alors qu¹en face de moi, de l¹autre côté de la faille, je vis quelque chose bouger derrière un buisson. Je tirai plusieurs coups de feu dans la direction, quand deux nha-qués se mirent debout, levant les mains. Je leur criai d¹approcher, les tenant toujours en joue. Ils descendirent le versant sud de la faille, s¹aidant mutuellement, visiblement avec beaucoup de difficultés. Puis ils remontèrent de mon côté, lorsqu¹ils furent devant moi, je constatai qu¹ils étaient tous deux blessés, l¹un au pied, l¹autre plus grièvement, avait la cuisse droite transpercée à hauteur de l¹aine. Nous les aidâmes à redescendre la falaise, et à les hisser à bord où ils furent soignés par Barbier. Nous fîmes route aussitôt sur Nhatrang afin de les remettre au 2ème Bureau.

 

A notre retour à Saïgon, j¹appris qu¹à compter du deux juillet, je venais d¹être promu au grade de quartier-maître de 2ème classe. Charpentier, lui, était nommé au grade de second-maître de 2ème classe.

 

Quelques jours plus tard, six des douze hommes de la Cie de débarquement furent décorés de la Croix de Guerre des T.O.E. Plichart m¹avait fait appelé au carré des officiers pour m¹avertir que la Croix qui m¹était destinée serait remise à Dubois, non pas qu¹i l¹eut particulièrement méritée, mais pour lui donner le nombre de points nécessaires à l¹accession au grade de quartier-maître de 1ère classe. Pour atténuer mon amertume, Plichart ajouta :

‹ Daux, vous l¹aviez bien méritée, mais vous êtes jeune, vous aurez d¹autres occasions de la gagner, la Croix de Guerre.

 

Pendant les vingt-cinq jours que nous passâmes à Saïgon, les ouvriers de l¹arsenal vinrent procéder au dégazage des soutes à mazout. Cela dura trois jours. A bord, la chaleur était telle que nous avions pris nos quartiers dans une paillotte du Dépôt de la Marine. Seuls, les hommes de service, restaient à bord la nuit, pour assurer la garde.

C¹est au cours d¹une de ces nuits, qu¹ Ollivier, alors officier de garde, rappela le tiers de corvée pour renforcer la surveillance. Je faisais justement partie du tiers de corvée, et je m¹apprêtais à assister à une séance de Cinéma aux Armées, lorsque l¹ordre de regagner le bord nous parvint.

J¹arrivai à bord, furieux. J¹apostrophai Ollivier, lui demandant s¹il n¹était pas "fou dans sa tête" qu¹il n¹avait aucune raison, si ce n¹était de nous emm… pour choisir ce soir-là, particulièrement, pour doubler la garde.

Il me répondit, qu¹il avait reçu des informations laissant redouter un attentat suicide, sur des navires de guerre. Je le traitai de jeune crétin, puis de rage, j¹otai mes chaussures et les lui balançai à la figure.

Le lendemain, Morvan le bidelle vint me trouver et me déclara.

‹ T¹as fait le c.. hier soir. Entendu, Ollivier est un jeune crétin, j¹suis d¹accord avec toi, mais c¹est un officier, t¹aurais dû faire gaffe.

Il ajouta.

‹ J¹ai arrangé les choses avec lui, il ne te fera pas passer au rapport, je lui ai proposé en guise de punition, de te faire travailler à l¹heure de la sieste, pendant une semaine. T¹en fais pas, on s¹arrangera, tu feras ta sieste et on lui fera croire que t¹as bossé pendant ce temps.

Pendant ma semaine de ³punition³ rien dans mes habitudes ne changea. Le matin du dernier jour pourtant, Ollivier s¹inquièta auprès de Morvan, sur le travail que j¹avais rendu durant cette semaine. Morvan m¹en avertit et me conseilla, pour le dernier jour, de faire quelques retouches de peinture bien ostensiblement sous les yeux de l¹officier en troisième.

Par la suite, Ollivier et moi, oublièrent cet incident et nous entretînmes de très cordiaux rapports, sans aucune arrière-pensée

 

Au cours de ce séjour, j¹eus recours à Barbier et sa streptomycine, à la suite d¹une visite au ³Parc à Autruches ³. De plus, je fus convoqué sur les lieux mêmes du délit par le médecin-major.

Un beau matin, je me rendis sur place en moto-pousse. Là, le médecin militaire me demanda de lui désigner la fille qui m¹avait fait ce joli cadeau.

Je lui répondis :

‹ Pas une, six !

Le toubib me regarda avec des yeux effarés, l¹air de dire, pas gros mais costaud. Il m¹emmena dans la cour que je connaissais bien et nous fîmes ensemble, le tour de toutes les filles alignées devant leurs cagnas.

Je reconnus sans peine, les congaïes que j¹avais fréquentées le fameux soir de notre retour à Saïgon, mais je ne voulus point les dénoncer, laissant à d¹autres le soin de le faire. Je m¹attachais à rester en bon terme avec toutes ces jolies filles et ne tenais pas à être pris à partie, par une nuée de harpies vengeresses, lors d¹une visite ultérieure.

 

Au mois d¹août, nous repartîmes en patrouille, toujours dans les secteurs Nhatrang-Tourane-Huê.

Un jour, nous voulûmes arraisonner trois jonques, mais celles-ci réussirent à nous échapper et se réfugièrent dans le port de Qui-Nhon, alors aux mains des Viets. Le ³Pacha³ appela au poste de combat. Je m¹installai à mon poste de tir, au canon de 40 m/m.

Maintenant, j¹étais plus expérimenté et dès que j¹en reçus l¹ordre, je procédai à des tirs par courtes rafales, me guidant, plus par la trace lumineuse des obus, que par le viseur du tube. Les impacts entourèrent parfaitement les trois bateaux, j¹en coulai un et endommageai probablement sérieusement un deuxième. La troisième jonque parvint à se mettre à l¹abri derrière une pointe de terre. Plichart était satisfait, mais ce fut l¹officier en second qui me félicita.

Un soir, Plichart reçut l¹ordre de venir à la rescousse d¹un bataillon de Marsouins, pris à partie par cette fameuse division viêt, qui avait entrepris son mouvement vers le sud. Nous nous dirigeâmes dans le secteur de Quang-Ngaï où nous arrivâmes de nuit. Le commandant nous avait appelés au poste de combat et nous étions tous prêts à bombarder les forces viet-minh. Le combat se déroulait dans la forêt qui bordait la mer. Nous entendions distinctement le bruit des armes automatiques, mais nous ne voyions rien.

Plichart ordonna au 76 m/m de tirer trois obus éclairants, puis par radio, demanda aux nôtres de nous indiquer leur position par rapport aux fusées. Malheureusement la liaison était très mauvaise et nous n¹obtînmes aucune réponse autre que des gargouillis inaudibles.

De peur d¹arroser nos soldats, nous restâmes dans l¹expectative, rageant de ne pouvoir venir en aide aux pauvres types qui se battaient à quelques centaines de mètres de nous. Nous restâmes ainsi, toute la nuit essayant d¹établir le contact radio, sans succès. J¹ignore quelle fut l¹issue de cette bataille, mais je sais la colère qui nous prit contre ce matériel radio, qui ne marchait jamais quand il le fallait.

 

Le vingt-deux septembre, un message radio, émanant de Saïgon, informait le commandant que je devais regagner Saïgon immédiatement. Un LST,La Rance qui justement rentrait à Saïgon, mouillait actuellement dans la rade de Tourane, m¹attendant pour m¹y transporter.

Nous fîmes aussitôt route sur Tourane. Le ³Pacha³ m¹instruisit de la suite des choses. A Saïgon, je devais embarquer sur le Mousquet pour me rendre à Singapour, afin de procéder à des exercices d¹écoutes sous-marines avec les Anglais.

A Tourane on me transborda sur La Rance puis nous levâmes l¹ancre pour Saïgon. En fait, c¹est au Cap Saint-Jacques que je quittai le LST et montai à bord du Mousquet qui m¹y attendait.

Je fus aussitôt intégré à l¹équipage; heureusement, je connaissais la plupart des gars qui avaient fait l¹Amérique avec moi.

C¹est alors que nous faisions route sur Singapour que je fus pris de violents maux d¹oreilles. Une otite double, carabinée se déclara. Aussitôt j¹allai voir l¹infirmier, un Martiniquais, qui m¹envoya promener, disant que je voulais me la couler douce. Je dus assurer mes heures de quart, à la passerelle. Je vivais dans un brouillard, j¹avais une fièvre terrible, des élancements dans les oreilles qui m¹empêchaient de dormir, je ne mangeais plus, ne pouvant ouvrir les mâchoires. Et l¹infirmier qui refusait de me soigner.

A Singapour, ce fut pire, les exercices sur simulateurs exigeaient de porter un casque avec écouteurs. Je ne pouvais plus rien endurer, tout était flou, les maux d¹oreilles se propageaient maintenant dans tout l¹arrière du crâne. Et je devais en plus des exercices, assurer mon service à bord. Et l¹infirmier qui refusait toujours de me soigner. Cela dura quinze jours.

Lorsque nous quittâmes Singapour, j¹étais au bord du délire. Au Cap Saint-Jacques. On me transféra du Mousquet qui continuait sa patrouille, sur l¹ Intrépide qui lui, remontait sur Saïgon. L¹infirmier de l¹Intrépide à qui je fis part de ma mésaventure, fut scandalisé par le comportement de son collègue. Il me prodigua les premiers soins depuis quinze jours, et dès notre arrivée à Saïgon, il me fit hospitaliser sur le champ, à l¹UMS ..

Là, pour la première fois depuis bien longtemps, une infirmière toute blonde, fraîche et rose, se pencha sur mon berceau. Le toubib vint m¹examiner et me prescrivit en plus des soins externes, une série de piqûres de propidon. l¹infirmière, arriva avec son attirail, prit une seringue grosse comme un clystère, me demanda de me mettre à plat ventre, et me planta derechef, l¹énorme aiguille dans une de mes fesses. Puis lentement elle m¹inocula l¹épais liquide jaune et huileux qui remplissait la seringue. Je hurlai de douleur, une brûlure intense sembla se répandre dans mes reins. L¹infirmière me fit un sourire et me traita de douillet. J¹aurais bien voulu la voir à ma place. Puis elle s¹éloigna, me donnant rendez-vous pour le lendemain.

Quatre piqûres du même genre, elle me fit, tantôt à la fesse gauche, tantôt à la fesse droite. Le quatrième jour, je n¹avais plus mal aux oreilles, la douleur s¹était tout bonnement déplacée. Je ne pouvais plus remuer mes jambes, ni m¹asseoir; pour dormir, une seule position, couché sur le ventre.

Lorsque le sixième jour, je sortis de l¹UMS, je me traînai comme un vieillard pour regagner le Trident, enfin revenu, patrouille terminée, s¹accoster à sa place habituelle.

Barbier mon infirmier, mis au courant de mon aventure, se promit de déposer une plainte contre son collègue du Mousquet, pour négligence grave.

Pendant plusieurs jours, je traînai la jambe, les copains devaient m¹aider à monter et descendre les échelles, qui, par les écoutilles, nous menaient soit à la cafétéria, soit au poste d¹équipage.

 

Vers la fin octobre, Glomeau, André et moi, fûmes désignés par Plichart, pour participer à un entraînement de commando, au Cap Saint-Jacques. Nous descendîmes la Rivière de Saïgon, sur le Glaive.

Au Cap, nous prîmes nos quartiers au Centre de Repos, puis pendant trois jours nous suivîmes les cours de commando marine. Aux divers exercices physiques, s¹ajoutèrent le tir aux armes les plus variées. De ce dernier point, je m¹en tirai honorablement, étant classé, aux dires de notre instructeur, parmi les meilleurs tireurs de la DNEO .

Pour nous aguerrir, on nous obligea à faire exploser des grenades offensives, pratiquement à nos pieds. L¹instructeur nous avait averti :

‹Avec ce type de grenade, le seul danger vient de la cuiller qui peut vous frapper et vous blesser, mais c¹est un risque à courir .

Nous étions assez fiers d¹avoir été choisis pour ce stage, cependant, nous nous posions la question de son utilité, nous arrivions tous trois au terme de notre séjour en Indochine.

 

Peu après notre retour sur le Trident, les neuf dixième de l¹équipage, ceux qui nous avaient précédés aux USA, débarquèrent pour être rapatriés et furent remplacés par un équipage nouveau. Seuls restèrent à bord, en plus de Massardo, Glomeau, Charpentier et moi, les cinq ou six copains qui avaient rempilé pour une prolongation de six mois de leur séjour, tels Gaillard, Le Tac, Le Gloannec etc

Avant de nous quitter, nous organisâmes un grand repas d¹adieu, au restaurant ³Le Bordeaux³. Nous avions tous le coeur gros de voir partir les copains, après avoir vécu tant d¹aventures ensemble, depuis presque deux ans.

 

A bord, j¹avais même mon futur remplaçant, Robert Le Boulch¹, un breton de la région de Quimper.

Plichart me chargea d¹instruire, tous ces nouveaux venus, au maniement des armes de bord. Bien qu¹il y eût des canonniers chevronnés, ce fut à moi qu¹incomba la tâche de montrer comment démonter, nettoyer puis remonter les canons de 20 m/m Oerlikon, le 40 m/m Boforset les mitrailleuses 12,7 .

Fin de la première semaine de novembre, nous appareillâmes pour ce qui était pour moi, l¹ultime patrouille. Nous sympathisâmes très vite avec les nouveaux. Apparemment le bon esprit qui avait régné depuis deux ans, continuerait avec la nouvelle équipe.

Un jour de novembre, nous accostâmes à Nhatrang pour faire le plein d¹eau douce. Nous y apprîmes une nouvelle qui nous consterna. La garnison du petit poste fortifié flanquant notre ponton d¹amarrage, que nous connaissions bien, venait d¹être décimée par un des supplétifs, qui, au cours d¹une nuit, avait égorgé tous ses compagnons, chef de poste compris.

Le vingt-quatre décembre, nous jetâmes l¹ancre dans la baie de Cam-Ranh. Tout le monde, officiers, officiers-mariniers, quartiers-maîtres et marins se retrouvèrent dans la cafétéria pour réveillonner ensemble. Sauf moi, qui étais de garde sur la passerelle, près des mitrailleuses 12,7. Nous étions alors dans une zone peu sûre et nous redoutions une attaque surprise.

Le ³Pacha³ s¹étonnant de ne pas me voir avec les autres, s¹informa de la cause de mon absence. Quelqu¹un lui ayant répondu que j¹étais de garde, il envoya un jeune pour me remplacer, disant que ma présence était indispensable.

Flatté de cette marque d¹estime, je descendis à la ³cafète³, trinquer avec la joyeuse équipe. Je ne restai que peu de temps, afin de ne pas pénaliser le copain qui avait pris ma place. Au petit matin, nous levâmes l¹ancre pour reprendre notre va-et-vient, le long des côtes que nous connaissions maintenant, dans ses moindre recoins.

Au tout début de janvier, nous revînmes à Saïgon. Glomeau ayant décidé de faire six mois de plus, Charpentier, Massardo et moi fûmes à notre tour, débarqués du Trident, laissant derrière nous, deux années de souvenirs intenses, les copains anciens et nouveaux, les trois boys et Colgate notre mascotte.

Nous allâmes loger dans la paillotte du Dépôt, avec tous les futurs rapatriés des autres bâtiments. J¹y retrouvai Nézet, Sicard et Rimasson qui, comme moi devaient rentrer en France par le S/S Pasteur.

Les jours qui suivirent furent consacrés aux démarches administratives, aux visites médicales, aux vaccinations et à l¹enregistrement des bagages de soute. Le soir, Charpentier, Massardo, Gaillard, Le Gloannec et moi, nous nous retrouvions en ville, multipliant les repas d¹adieu .

 

Le vingt-six janvier, nous embarquâmes sur un cargo, L¹Espérance, au port de commerce. On nous parqua dans une soute qui avait contenu du ciment. Nous refusâmes de dormir là-dedans et nous nous installâmes sur le pont. En fait, nous n¹étions sur ce rafiot que pour descendre la Rivière de Saïgon.

Au Cap Saint-Jacques, le Pasteur, superbe paquebot transformé en transport de troupes, était à l¹ancre. D¹énormes vedettes firent le va-et-vient entre les deux bâtiments. Lorsque tout le monde fut à bord, le Pasteur appareilla, prenant la direction de Singapour. De Singapour, où nous mouillâmes quelques heures dans le port, nous gagnâmes l¹Océan Indien en empruntant le détroit de Malacca entre la presqu¹île de Malacca et l¹île de Sumatra.

A bord, nous passions le plus clair de notre temps à paresser. Nous étions au moins deux mille militaires de toutes armes et de toutes origines. Nous étions de corvée par roulement. Dieu merci, lorsque ce fut notre tour, j¹eus la chance d¹être affecté aux cuisines. Sicard, lui, fut désigné à l¹infirmerie. Ce qu¹il y vit, le bouleversa, il dut s¹occuper d¹un tirailleur sénégalais qui avait sauté sur une mine. Le pauvre type était aveugle, avait perdu bras et jambes, de plus il avait le ventre ouvert.

Nous fîmes une escale à Aden au Yemen, alors sous administration anglaise. Des permissions de sortie furent accordées. Avec les copains, nous visitâmes la ville, les deux devrais-je dire, l¹européenne et l¹arabe. Charpentier voulut photographier un groupe d¹indigènes sur leur dromadaire, les Yéménites furieux, nous lapidèrent, nous ne dûmes notre salut qu¹à une fuite éperdue.

Dans la ville européenne, j¹achetai une superbe valise ‹ que j¹ai toujours ‹ et un jeu (une tortue filoguidée) pour ma petite filleule Anne-Marie.

Quittant Aden, nous remontâmes la Mer Rouge, puis le canal de Suez. Nous fîmes une courte escale de deux heures à Port-Saïd. Aussitôt, une nuée de gamins demi-nus, dans de légères embarcations, entourèrent l¹imposante masse du Pasteur. Du pont supérieur, quelques hommes, connaissant la coutume, jetèrent des pièces de monnaie dans l¹eau, donnant le signal aux gamins qui, plongèrent en se bousculant, cherchant à repêcher cette manne tombée du bateau.

En Méditerranée, nous mîmes le cap sur Oran où nous arrivâmes de nuit. Les tirailleurs marocains, algériens et les légionnaires quittèrent le bord. Ensuite, cap sur Marseille où nous accostâmes le 12 février 1953 au matin.

 

Tous les marins furent dirigés sur la caserne du Pharo, où l¹on nous remit notre permission et notre ordre de route, nous échangeâmes nos dernières piastres contre des francs, puis nous nous ruâmes vers la gare Saint-Charles.

Charpentier et moi fîmes nos adieux à Massardo qui lui, se dirigeait sur Perpignan et Collioure, puis nous prîmes d¹assaut le train de nuit pour Paris.

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Fin du chapitre X

 

Page TRIDENT

Chapitre VIII Toulon

Chapitre IX l'Amérique

Chapitre XI Brest