Février- Mai 1964

Séjour en Atantique Sud

Souvenirs du CV(h) Guy Spilliaert

 

Le 5 février 1964, je prends l'avion Marseille Dakar pour rejoindre le Fringant dont j'ai été désigné comme commandant par décret du 28 janvier 1964 (soit une semaine auparavant !)

Par un heureux concours de circonstances, je me suis retrouvé en première classe et j'ai ainsi profité du repas gastronomique offert à cette époque par Air France (j'ai gardé un exemplaire du menu pour l'édification des générations actuelles). J'étais assis à côté d'un certain Monsieur Combaluzier (propriétaire des ascenseurs du même nom, venu faire la tournée de ses nombreux établissements africains).

J'étais alors frais émoulu de l'Ecole d'Application de l'Energie Atomique (plus tard Ecole des Applications …). Quelques jours auparavant, je venais de soutenir à Saclay devant un aéropage fort intimidant, un projet de réacteur spatial à conversion directe (thermoïonique, maintenant thermoélectronique) (RESCODI). J'étais chef du projet comprenant également le Lieutenant de Vaisseau Quelvennec, le Capitaine (terre) Lales et le Lieutenant (Air) Istin. Cette soutenance de projet m'a donné droit au titre d'Ingénieur en Génie Atomique, option Armes, bien que le rapport entre un réacteur nucléaire spatial et une arme nucléaire ne soit pas évident.

Arrivé à Dakar, je suis accueilli par mon prédécesseur et ami, le LV Jean Pierre Fourquet (promo 50), actuellement VA 2S. Après la sortie à la mer traditionnelle, surtout pour s'accoutumer à la manœuvre d'un bâtiment dont la vitesse minimum était sept nœuds, le Contre Amiral Mangin d'Ouince, Comar Dakar, m'a reconnu comme commandant de l'Escorteur Côtier le Fringant le 9 Février. C'était mon premier commandement. Mon seul commandement précédent était la 252 ème section d'engins d'assaut au Sud Vietnam en 1952.

Au cours de ma première conférence de travaux, j'ai entendu traiter des problèmes causés par les tarets sur les coques en bois recouvertes de plaques de cuivre, ce qui me changeait totalement de mon univers précédent.

Quelques jours après, départ pour l'Atlantique Sud avec escale à Abidjan et Lomé où je me réjouissais de revoir ma sœur Madeleine, sœur missionnaire de Notre Dame des Apôtres et directrice du premier établissement d'enseignement secondaire pour jeunes filles au Togo, que je n'avais pas revue depuis plusieurs années. Malheureusement à Abibjan, message urgent pour rejoindre directement Libreville au Gabon, où le Président Léon M'Ba venait d'être destitué par un coup d'état fomenté par celui qui sera plus tard son successeur et remis en place presque aussitôt par les parachutistes venus du camp Bouar en Centre Afrique sur ordre du général de Gaulle qui appréciait beaucoup son ami Léon M'Ba

Donc route directe sur Libreville avec radar en panne ainsi que le gyrocompas, ce qui nous a fait atterrir au petit matin, par un temps légèrement brumeux non engageant, à l'aide du bon vieux radiogoniomètre.

Le Fringant a mouillé devant la ville de Libreville en essayant d'éviter l'épave du Bougainville ( ?) qui encombrait le seul mouillage possible. Pour un escorteur côtier, le mouillage en rade foraine n'a rien de bien confortable car les liaisons avec la terre avec les embarcations pneumatiques du bord ne sont pas faciles. De plus, la chaleur sur un bâtiment non climatisé était difficilement supportable de jour comme de nuit. D'ailleurs la seule consigne que m'ait donnée l'Amiral Mangin d'Ouince avant mon départ était : " Tachez de survivre au mieux ".

Le calme était revenu à Libreville, bien que la gendarmerie étant à l'origine du coup d'état, et donc mise à l'écart, le maintien de l'ordre était loin d'être assuré.

Ce fut ensuite un séjour à Port Gentil plus au Sud où les Français sur place travaillant pour la plupart dans le bois d'Okoumé appréciaient la présence d'un bâtiment français leur offrant un havre sûr en cas de reprise des troubles. Le trajet Libreville Port gentil faisait traverser la ligne équatoriale, ce qui fut l'occasion du baptême traditionnel des néophytes dont je n'étais pas puisque, avec la Jeanne d'Arc, je l'avais franchie en 1950 au cours de la traversée Djibouti Diego Suarez . Une des caractéristiques de Port Gentil qui m'avait frappé, c'était son isolement par rapport au monde extérieur, c'est ainsi que le réseau routier carrossable était si petit que je crois ne jamais avoir pu passer la 4 ème vitesse sur la voiture (une Peugeot 404 naturellement) que l'on m'avait prêtée.

Un après midi alors que je me trouvais à terre, une tornade s'est élevée brusquement et j'ai vu de loin le Fringant chasser, ce qui n'était guère réjouissant. Heureusement, l'officier de garde qui était un EV 2(R) sortant de la Marine marchande a appareillé et mouillé aussitôt en sécurité, grâce lui soit rendu au moins rétrospectivement. Le résultat de la tornade a été un envahissement du plan d'eau par des billes de bois en provenance des radeaux en cours de chargement sur les cargos en rade et larguées par ceux-ci pour éviter d'être défoncés par ces mastodontes le long de leur coque.

Le résultat c'est que la mer et les plages entre Port gentil et Libreville étaient encombrés de billes de bois que personne ne récupérait et qui était d'une part un gaspillage gigantesque (surtout vu avec des yeux actuels) et un réel danger pour la navigation puisqu'à l'occasion d'un retour sur Libreville, le Fringant a coincé une bille de bois invisible dans ses hélices, ce qui a causé un arrêt immédiat de la propulsion ainsi que celui de toute la production d'énergie à bord pendant quelques longues minutes. Heureusement, tout est rentré assez rapidement dans l'ordre mais une ou plusieurs pales ayant été probablement faussées, il en est resté des vibrations assez sensibles au dessus de douze nœuds qui n'ont pu être supprimées définitivement qu'en remplaçant les hélices en Août 1965, soit seize mois plus tard.

De Libreville, Le Fringant est allé ensuite à Pointe Noire comme ses prédécesseurs. L'accostage à Pointe Noire était un peu le " pont aux ânes " des commandants pour la manœuvre d'accostage et le Comar Pointe Noire (CC Coat ?) pouvait ainsi faire des comparaisons plus ou moins flatteuses. Pour ma part, il semble que je ne m'en sois pas trop mal tiré d'après ses commentaires. L'avantage de Pointe-Noire pour l'équipage par rapport à Libreville, c'est qu'il y avait des logements à terre ce qui, après l'étuve de Libreville, était comme une sorte de paradis. Au cours d'une mission, nous sommes allés faire des prélèvements d'eau à l'embouchure du fleuve Congo au profit de l'ORSTOM, peut-être est ce le point le plus Sud atteint par le Fringant au cours de sa carrière ?

Au cours du séjour à Pointe-Noire une expédition fut organisée pour descendre le fleuve Kouilou en pneumatique depuis un barrage à une centaine de kilomètres de Pointe Noire jusqu'à la mer, soir au moins une soixantaine de kilomètres. Le départ au petit matin du site du barrage a été assez impressionnant car c'était l'aventure totale. De plus, avec l'humidité de la nuit, les moteurs hors bord ont refusé tout net de démarrer et nous sommes partis à la pagaie aidés par le courant au milieu d'une forêt totalement vierge. Heureusement avec la chaleur du soleil, les moteurs ont fonctionné et nous avons fait une descente avec arrêt pique nique dans une nature pleine de bruits d'animaux, assez impressionnante. Le soir vers 17 heures nous étions en bordure de mer, récupérés par un shipshandler de Point Noire fort sympathique. Celui-ci m'a raconté une histoire très pittoresque. Comme shipshandler il avait effectué une livraison à un bâtiment soviétique et ne recevant pas le paiement de sa facture, il l'avait adressée à Monsieur Khrouchtchev, Le Kremlin, Moscou. Peu de temps après, il en recevait le règlement mais en francs français et non en francs CFA, ce qui sauf erreur de ma part devait représenter 50 fois le montant de la facture. Je ne connais pas la suite de l'histoire.

Après Pointe-Noire, courte escale à Libreville puis route sur Dakar avec escale à Douala. Avant mon départ, le commandant du dragueur Arcturus, en poste à Douala m'a proposé de le suivre pour parcourir les dédales du delta au pied du Mont Cameroun dans l'ancien Cameroun britannique Le parcours fut en effet très pittoresque mais pendant tout le trajet, je pensais aux hélices débordant sous la coque du Fringant, ce qui n'était pas le cas de notre guide et donc n'offrant nulle garantie de passer sain et sauf dans son sillage. Enfin, tout s'est bien passé et nous avons fait route directe sur Dakar, ce qui pour un escorteur dit " côtier " représentait une bonne " touée ". A Dakar, passage au bassin, sans résultat, pour vérifier les hélices, puis départ sur Toulon avec escale aux Canaries. A Santa Cruz de Ténériffe, je retrouve le LV Philippe Vidal de la Blache (mon " fils baille de la promo 49), commandant le Paul Goffeny ( ?). Nous décidons ensemble d'ascensionner le pic de Teide (3.700 mètres). Départ l'après midi, coucher au refuge puis, le lendemain matin très tôt, ascension du pic au milieu des rochers de lave. Arrivée au sommet au petit matin par une température que je n'avais pas connue depuis mon départ de France. Petit déjeûner réchauffé sur les fumerolles avec une vue superbe et retour sur Santa Cruz dans l'après midi, ce qui au total représentait une bonne équipée puisque nous étions partis et revenus au niveau de la mer en un peu plus de 24 heures.

Des Canaries, route directe sur Toulon. Traversée fort pénible, mer debout, dans un fort alizé de Nord-Est jusqu'à Gibraltar. Je garde le souvenir d'une visite dans le peak avant pour déceler l'origine d'une légère voie d'eau, visite qui fut fatale à certains de mes accompagnateurs. Le 1er mai, passage au grade de Capitaine de Corvette. Arrivée le (?) Mai à Toulon sans histoire et premier accostage, toujours un peu acrobatique, par l'arrière au quai des escorteurs côtiers dans la vieille darse à l'emplacement actuel du club nautique de la marine.

 

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